ELLE DOIT ÊTRE FOLLE : le discours psychiatrique, les "troubles de la personnalité" et la régulation sociale des femmes subversives

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ELLE DOIT ÊTRE FOLLE : le discours psychiatrique, les "troubles de la personnalité" et la régulation sociale des femmes subversives

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1. Introduction

Les femmes déviantes ont été étiquetées et soumises à des méthodes coercitives de «correction» à travers toute l'histoire. La violation des rôles socialement prescris et la transgression des normes concernant le comportement culturellement «acceptable» pour une femme garantit d'être soumise aux mécanismes régulateurs des plus puissantes institutions de la société. En utilisant la théorie sociologique, la généalogie, et l'analyse critique du discours, cet essai examinera le pouvoir omniprésent de la psychiatrie et plus largement de l'institution psy dans la culture occidentale actuelle, en retraçant ses remarquables succès dans la régulation des femmes, dans la suppression de la possibilité de l'organisation des femmes et de l'action révolutionnaire, et dans la perpétuation des mêmes restrictions sur l’expérience du monde d'une femme que celles imposées tout au long de l'histoire.

La recherche féministe sur la psychiatrie (Blum et Stracuzzi 2004, Busfield et Campling 1996, Chamberlin 1975, Chunn et Menzies 1990, Martin 1982, Plechner 2000, Smith 1975) utilise une critique similaire de la validité des diagnostics psychiatriques à celle initialement postulée dans les premières études critiques de la psychiatrie ainsi que dans les nombreuses branches de l'antipsychiatrie, de la Mad Pride, et des groupes et des mouvements pour les droits humains. Ces individu·es et organisations variées conviennent généralement que le savoir et l'expérience de la folie surviennent non pas d'une anormalité médicale individuelle, mais des structures culturelles, économiques et de pouvoir de la société dans laquelle des comportements «fous» se produisent (Becker 2000, Caplan 2006, Elden 2006, Foucault 1965). Thomas Szasz, une des plus vives figures dans la bataille pour contester le monopole des disciplines psy sur la définition de la «normalité» ou «l'anormalité» humaine, a été le premier chercheur à faire un parallèle entre le phénomène ancien de «sorcellerie» et l’étiquetage des femmes en tant que sorcières, et le phénomène plus récent de diagnostic des femmes comme «malades mentales», considérant que les deux concepts ont fonctionné pour définir la conduite féminine acceptable et pour fournir des punitions pour la déviance, qui apparaissent maintenant souvent sous la forme de «traitement» médical (Szasz 1974:182-198). De nombreuseux autres chercheuseurs offrent des analyses différentes du même parallèle (Chodoff 1982, Foucault 1965, Turner et Edgley 1983). Depuis que le sujet à été rendu public pour la première fois, les chercheuseurs féministes ont examiné les conditions et processus qui permettent aux femmes d'être rendues déviantes et régulées au nom de la «santé mentale», bien que le consensus social concernant la légitimité de ce concept soit tellement omniprésent que le simple fait de soulever des questions sur son sens, son utilisation, ou l'industrie qui en tire du pouvoir pourrait conduire la/le coupable a être diagnostiqué·e comme «folle/fou» (Chamberlin 1975, Chunn et Menzies 1990, Kaplan 1983, Lerman 1996, Smith 1975).

Le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM), une publication de l'Association Américaine de Psychiatrie (AAP), sert de «bible psychiatrique» (voir Kutchins et Kirk 1998) pour la maladie mentale, et définit les critères d'un nombre toujours plus grand de troubles. Le DSM-I faisait 130 pages de long, énumérant 106 troubles. Maintenant dans sa quatrième édition, le DSM-IV fait 886 pages de long et énumère 297 troubles, près du triple de sa première édition (Grob 1991). C'est le manuel standard utilisé par tous les psychiatres et autres cliniciens comme outil de diagnostic des patient·es. La validité de toute l’épidémiologie du DSM a été contesté (Kutchins et Kirk 1998, Rose 1986), mais la catégorie spécifique qui va être discutée dans cet essai – les troubles de la personnalité (TP) – est celle qui comporte le moins de ressemblance avec les maladies physiques, qui utilise un langage particulièrement vague et hautement interprétable, et révèle avec transparence sa possible utilisation comme outil pour la pathologisation, l'oppression, et le contrôle social des femmes. Cet essai se focalisera sur les trois troubles de la personnalité qui sont le plus exclusivement diagnostiqués chez les femmes (AAP 1994) : le trouble de la personnalité histrionique (TPH), le trouble de la personnalité dépendante (TPD), et le trouble de la personnalité borderline (TPB). Les critères pour ces «troubles» énumérés dans le DSM (voir Appendices A-C) décrivent des comportements genrés stéréotypés, des caricatures de rôles féminins dans la société moderne contemporaine, ainsi que des réponses courantes à l'oppression.


 

2. Concepts Théoriques

a) La théorie féministe : les stéréotypes genrés et la double contrainte

La socialisation des enfants depuis la petite enfance reflète et perpétue les stéréotypes genrés (Nehls 1998:98). Comme l'on souligné de nombreuseux théoricien·nes, de Parsons (Parsons 1951) à Smith (Smith 1975), les femmes sont associées aux comportements «expressifs» et à la «communion», tandis que les hommes sont associés avec le comportement «instrumental» et «l'agency» [«agency» renvoie à la capacité d'autonomie, d'action sur le monde] (Becker 1997:39). On apprend aux jeunes garçons à être autonomes et agressifs, tandis que l'on apprend aux jeunes filles à être dépendantes et passives. Le renforcement des comportements genrés est puissant, il s'accomplit à travers un traitement différentiel et un système complexe de récompenses et de punitions formelles et informelles, ancré dans presque toutes les interactions sociales. Les traits assignés aux filles et aux femmes sont ceux que la sociétés dévalue, donc les femmes sont par conséquence dévaluées, ce qui conduit à un traitement différentiel et des expériences négatives, y compris le fait d'avoir une plus grande chance d'être diagnostiquées comme souffrant d'un trouble psychiatrique, en particulier lorsque ces traits sont exagérés.

La caractérisation genrée [« gender typing » en anglais] est flagrante dans les TP, même sans examiner leurs critères spécifiques. Les dix troubles sont regroupés dans trois groupes, qui à première vue révèlent des stéréotypes communément répandus sur les hommes et les femmes. Le groupe A, comprenant uniquement des troubles diagnostiqués plus fréquemment chez les hommes (troubles de la personnalité paranoïaque, trouble de la personnalité schizotypique, et le trouble de la personnalité schizoïde), est défini sous la rubrique «comportement bizarre ou excentrique». Tandis que, le groupe B, comprenant le TPB et TPH, utilise une rubrique nommée «comportement dramatique, émotionnel, ou erratique», et le groupe C, qui comprend le TPD, est rangé dans les «comportements anxieux et craintifs» (AAP 1994). Le groupe uniquement constitué de troubles plus fréquemment attribués à des hommes manque de toute référence à l'émotivité, alors que les deux autres se focalisent sur les émotions, les étiquetant comme problématiques. Tandis que les schémas de la masculinité hégémonique découragent les hommes d’exprimer leurs émotions, les femmes sont associées à l'émotivité, et ici elles sont pathologisées pour en avoir trop exprimé.

Une analyse des critères pour les trois TP, démontre qu'ils constituent un spectre de comportements féminins acceptables et culturellement prescrits – par exemple, une femme ne doit pas être trop dépendante d'un compagnon masculin, puisque cela est décrit comme un comportement caractéristique du TPD, mais elle ne doit pas non plus s'adonner à des relations non sérieuses, un critère listé à la fois pour le TPH et le TPB. Une norme – un standard socialement partagé concernant une conduite culturellement appropriée et désirable – est définie. Une femme devrait «s’installer» avec un partenaire monogame, mais ne devrait pas trop compter sur lui. Dans la société en général, les femmes et les filles sont pénalisées à la fois pour s'être conformées aux normes et avoir échouer à se conformer aux normes qui relèvent du comportement féminin «approprié». Cette situation paradoxale constitue une «double contrainte» – une situation dans laquelle quelqu'un·e reçoit des messages contradictoires, et cela diffère d'une situation dite «doublement perdante» pour deux raisons : 1) l'individu affecté­·e est largement inconscient·e de son existence, et 2) elle jaillit d'une personne ou d'une institution que l'individu·e respecte ou en le/laquelle iel à confiance (Brown et Ballou 2002). Toutes les femmes dans notre société sont confrontées à une double contrainte – elles peuvent soit se conformer à la conduite féminine «adéquate», renforçant leur subordination et leur impuissance, ou bien elle peuvent se rebeller en adoptant des traits supposément «masculins» comme l'indépendance, et alors faire face au châtiment et à l'aliénation. Les deux choix peuvent conduire à un diagnostic psychiatrique, et plus une conduite est extrême, quelle qu’en soit la direction, plus grande est la probabilité qu'elle soit sanctionnée.

Kaplan (Kaplan 1983) fournit la première critique féministe des troubles de la personnalité en 1983, soutenant que certains TP – le TPH et TPD, en plus du «trouble de la personnalité évitante» (TPE) – peuvent être perçus comme des caricatures des rôles féminins traditionnels, et peuvent être utilisés pour punir les femmes qui se sur – ou se sous – conforment aux normes de genres. En outre, le DSM définit les conséquences du TP comme étant «soit une déficience significative dans le fonctionnement social ou occupationnel, soit une détresse subjective» (AAP 1980 cité par Kaplan 1983 : 788), n'admettant pas la possibilité que la «perturbation» en question soit due à un conflit entre l'individu et la société, et non l'indice d'une «déficience». Kaplan mentionne le TPB mais ne l'examine pas substantiellement. Depuis la publication de ses recherches concernant sa perception de la caractérisation genrée dans les troubles de la personnalité, collectées pendant les cinq ans qui ont suivi la sortie du DSM III, le TPB est devenu le TP le plus diagnostiqué ; il sera soumis à un examen approfondi dans cet essai.

Les femmes représentent l'Autre dans le discours psychiatrique (Rimke 2003, Smith 1975) – instables par rapport à la «norme rationnelle» (Wirth-Cauchon 2001:39). La logique binaire de notre culture, dualistique et hiérarchique, est à l’œuvre. Les traits «féminins» ne sont pas seulement dévalués et placés dans une position subordonnée, mais ont été médicalisés et pathologisés, comme on le voit nettement dans les critères des TP. Le sujet cartésien admis par notre société valorise la pensée plutôt que les sentiments, qui eux sont associés avec le féminin, et sont pathologisés dans le discours psychiatrique.

b) Médicalisation

Conrad et Schneider définissent la médicalisation comme «la définition et le diagnostic d'un comportement déviant comme étant un problème médical, habituellement comme étant une maladie, et la désignation de la profession médicale afin de fournir une forme de traitement pour cela» (Conrad et Schneider 1980:29). L'augmentation de l'intervention de l'institution médicale dans la vie quotidienne des individus permet le contrôle social et la régulation morale en limitant, modifiant, isolant, ou éliminant le comportement déviant avec des technologies médicales, et au nom de la «santé» (ibid.). Un discours hybride émerge, tandis que le jargon médical s'infiltre dans les discussions de tous les jours concernant les difficultés de la vie, et des phénomènes qui auparavant n'avaient jamais été associés à des «traitements» médicaux sont recontextualisés en des termes médicaux (Dworkin 2001, Rimke et Hunt 2002). Cette perspective sociologique sur la médecine et la maladie diffère des conceptions dominantes de la maladie qui inclus : 1) la conception positiviste, similaire aux conceptions du «bon sens» commun, qui considère que la maladie est une affection qui altère le bon fonctionnement de l'organisme, et que ces maladies sont entièrement objectives, et 2) la conception phénoménologique qui postule une dichotomie corps/société, soutenant que l'affection [«disease»] est un état physiologique tandis que la maladie [«illness»] est un état social, probablement causé par une affection (Conrad et Schneider 1980:30). La dernière perspective permet une compréhension des différentes interprétations de certaines présentations physiologiques parmi différentes cultures – tandis que dans la culture d'Amérique du Nord l'acné de l'adolescence est une affection qui doit être médicalisée par différentes potions, certaines sociétés d'Amérique du Sud considèrent la même présentation physique de l'acné comme un joli signe d'entrée dans l'âge adulte.

Bien que ces enquêtes et comparaisons culturelles soient utiles pour illustrer la différence existant entre des sociétés distinctes et pour contester les hégémonies locales, la perspective sociologique pose un regard plus indiscret et critique, déclarant que l'«affection» et la «maladie» sont toutes les deux de pures constructions humaines qui émergent de la puissante et autoritaire institution médicale, qui sont ensuite introduites dans la population générale, et en viennent à être perçues comme des représentations de la vérité et de la réalité parmi les profanes, validant ainsi davantage les déclarations de la médecine et renforçant le pouvoir et le privilège de la science médicale (Hacking 1999, Murphy 2001). Les maladies sont des jugements sociaux négatifs qui affectent immédiatement le comportement de l'individu diagnostiqué·e, et le sens de la maladie est défini socialement, indépendamment de n'importe quel état biophysique (Conrad et Schneider 1980:31).

L'exemple des «maladies mentales» démontre avec élégance ce processus, puisque leurs fondements biophysiques – maintenant généralement cités comme issus d'un «déséquilibre chimique» du cerveau – peuvent être au mieux considérés comme vagues. Elles sont entièrement définies socialement – d'abord par quelques membres puissant·es de l'institution psychiatrique, et ensuite par la société dans son ensemble (voir Turner et Edgley 1983). Les individus diagnostiqué·es comme psychologiquement «malade» commencent à adopter le «rôle de la/du malade», un rôle défini par des attentes sociales (Parsons 1951). Après l'assignation d'un diagnostic par une figure d'autorité médicale, iel est déchargé·e de certaines responsabilités et en vient à être perçu·e comme quelqu'un·e qui a besoin qu'on s'occupe d'ellui. Étant donné que la «maladie» est essentiellement indésirable, l'individu développe un désir «d'aller mieux», et se tourne donc vers des technicien·nes médicalaux, suivant aveuglément les instructions qu'on lui donne dans l'espoir d'aller mieux.

c) La théorie foucaldienne : autorité, pouvoir, histoire,
gouvernementalité

L'analyse que fait Foucault de la psychiatrie, et son exposé qui en découle au sujet du grand pouvoir que l'on a accordé à l'institution psychiatrique et aux disciplines psy, au point qu'elles ont le monopole sur la définition de la «normalité», est cruciale pour les études critiques de la psychiatrie (Foucault 1965, 2006). Deux autres concepts foucaldiens et les outils pratiques et théoriques qui en découlent seront utilisés dans cet essai généalogique. Premièrement, c'est l'importance dans la construction d'une «histoire du présent», la méthode généalogique, du fait de prendre conscience des accomplissements historiques et discursifs qui ont originairement donné leur sens aux mots et aux concepts que nous tenons maintenant pour acquis (Foucault 1977b). La méthode généalogique révèle inévitablement des modèles de discours, d'institutions, et de pratiques dans des sociétés temporellement distinctes, menant souvent à la conclusion controversée voulant que la société n'a pas «évolué» avec le temps, mais est largement restée la même, en déclinant simplement les mêmes idées et valeurs dans un nouveau langage en fonction de l'époque (Wodak et Meyer 2001). Les institutions auxquelles on accorde du pouvoir peuvent changer, mais très souvent, leurs projets de régulation restent les mêmes (Foucault 1977a).

Deuxièmement, la «gouvernementalité», est essentielle dans l'examen de la régulation sociale et morale de n'importe quel sous-groupe de la population dans les sociétés modernes et postmodernes (Castel 1991). La gouvernementalité décrit la condition sociale dans laquelle un·e individu de la société se gouverne volontairement ellui-même, et où le gouvernement centralisé n'a plus besoin de prendre des mesures coercitives pour assurer l'obéissance des citoyen·nes. Une multiplicité d'institutions supposées indépendantes, objectives et bénévoles prennent en charge cette tâche en favorisant la discipline de soi et la docilité. La gouvernance de nos mentalités a lieu alors que nos esprits et nos idées sont forgées par l'école, les hôpitaux, les prisons, etc., et bien entendu, l'institution psychiatrique (Foucault 1978). Les techniques d' «auto-diagnostic» par lesquelles des individus peuvent «découvrir» la source de leur mécontentement dans leur propre comportement, pensées et sentiments «pathologiques», initiant leur propre participation à la psychiatrie, peuvent être considérées comme un exemple frappant du phénomène de gouvernementalité.

d) L'"effet de boucle" de Hacking

Une fois inclut dans le DSM et après avoir atteint le statut de catégorie de maladie officielle, un diagnostic suit son propre chemin, et pas forcément celui qui a été prévu ou voulu par ses développeuseurs originel·les. Ian Hacking désigne ce phénomène comme un «effet de boucle» (Hacking 1999). Il explique qu'il y a une différence fondamentale entre la classification des objets ou «entités indifférentes», et celle des êtres humain·es ou «entités interactives». Alors que les premières ne présentent pas de modifications essentielles quelles que soient les classifications qui leur sont attribuées, les humain·es réagissent immédiatement au fait d'être classifié·es, altérant leur comportement dans des façons qui ne peuvent être anticipées. Leurs réactions découlent de leurs croyances concernant leur nouvelle classification, ainsi que du traitement qu'iels reçoivent de l'«utilisatriceur» de cette classification – à la fois des professionnel·les et des profanes. Tandis que leur comportement change, le savoir qui correspond et qui forme la base de la classification change en réponse, ce qui produit encore de nouveaux comportements, et ainsi de suite (Murphy 2001:145).

La classification d'un·e seul·e individu suffit pour qu'iel ne soit plus identique aux individus étudié·es pour créer la classification. La théorie «experte» et l'opinion profane interagissent et se modifient mutuellement (Sparti 2001:334). Ainsi, tandis que chaque «nouvelle découverte» vantée par la psychiatrie et ajoutée à de nouvelles éditions du DSM sous la forme d'une nouvelle entité diagnostic semble refléter une accumulation de savoir, l'observation experte de caractéristiques particulières provient forcément d'une compréhension profane d'à quoi ressemble «ce genre de chose» (Murphy 2001:157). Les troubles de la personnalité reflètent non seulement le jugement «expert», mais les réactions qu'ils ont suscitées lors de leur utilisation, parmi les individus pathologisé·es, leurs relations, et au sein de la culture et du discours populaire. Les stéréotypes, la stigmatisation, et le rejet social ne sont pas seulement déclenchés par les diagnostics psychiatriques, mais avec le temps leurs effets en viennent à définir les diagnostics, validant et perpétuant un système répressif et un environnement oppressif pour les femmes déviantes diagnostiquées comme souffrant d'un trouble de la personnalité, et pour tou·tes les êtres humain·es qui sont désigné·es comme mentalement malades par un psychiatre.

e) Néo-libéralisme : l'année 1980

L'année 1980 – année de la publication du DSM III, avec son cadre diagnostic «révolutionnaire» – marqua le début de nouvelles politiques sociales et économiques, et d'un fort renouveau de l'idéologie néo-libérale. Avec l'élection de Ronald Reagan aux États-Unis, Margaret Thatcher aux Royaume-Uni, et Brian Mulrouney au Canada, les programmes sociaux furent remplacés par le dogme du «libre marché» omniscient, selon ce que Reagan vantait comme vertus d'un système où la richesse ruissellerait simplement vers le bas – avec la privatisation croissante de l'industrie anciennement régulée par le gouvernement, les riches deviendraient plus riche, et par conséquent les classes moyennes et populaires, d'une façon ou d'une autre, le deviendraient aussi.

Le climat économique et idéologique du «laissez-faire» étaient accompagnées par des changements dans les relations sociales et les valeurs. Les cultures relativement collectivistes et les sous-cultures des années 60 et 70 furent remplacées par une emphase totale sur l'individu, qui était en définitive la/le seul·e responsable de son propre parcours – financier, social, et mental. La nouvelle hyper-responsabilisation de l'individu a donné lieu à des changements institutionnels qui restent intacts aujourd'hui, et qui accommodent la gouvernementalité en promouvant la régulation de soi. Dans le champs de la psychiatrie, le DSM III a marqué une rupture quasi totale avec les racines psychanalytiques de la discipline, qui visaient à examiner longuement le contexte d'une vie individuelle, passant plutôt à une focalisation essentiellement sur la pathologie individuelle. Le nouveau manuel a permis un diagnostic rapide et facile, via une série de listes à cocher et soulignant des «symptômes», leurs causes étant situées dans la psyché du/de la patient·e, mettant ainsi de côté les conditions environnementales et sociales. De nouvelles demandes d'efficacité ont changé la relation patient·e-thérapeute d'un côté, mais ont aussi conduit au phénomène de l'individu·e recherchant volontairement et avidement à trouver une quelconque pathologie chez ellui, qui une fois traitée, pouvait conduire à augmenter l'efficacité de quelqu'un·e et par conséquent menait à la réussite en tant qu'être humain·e. La mode cultuelle de l'auto-diagnostic avait commencé, et ses premières consommatrices allaient être les femmes.

3. Les troubles : borderline, dépendante, histrionique
 

Trull et Widiger, simplifiant la conceptualisation verbeuse du DSM, définissent les troubles de la personnalité comme des «manifestations pathologiques de traits de personnalité normaux» (Trull et Widiger 2003:149). C'est le privilège de l'institution psy que de déterminer lorsqu'un «trait de personnalité normal» a en quelque sorte franchi une ligne et est entré dans le domaine de la «pathologie». Le DSM utilise le descriptif vague et hautement interprétatif de «inapproprié et intense» pour les critères des trois troubles de la personnalité connus pour être «féminins» (AAP 1980, 1994). Ainsi, il en suit logiquement que les traits féminins «normaux» – malgré le fait contradictoire que les chercheuseurs psy soutiennent que les «traits de la personnalité» définissent fondamentalement les qualités et les caractéristiques uniques qui forment le caractère distinct d'un·e individu – peuvent être exprimés dans une situation ou d'une façon «inappropriée», ou peuvent devenir trop «intenses». Ce dernier qualificatif incroyablement ambigu pourrait potentiellement entraîner un nombre infini de scénarios «problématiques», arbitrairement classés comme tel en fonction des jugements rapides d'un psychiatre : est-ce que l'expression extrême de ces traits poussent la/le patient·e au devant des dangers que la société associe avec l'«anormalité»? ; est-ce que leur intensité mène à une conduite «immorale»? ; est-ce que les manifestations intenses neutralisent d'autres caractéristiques, plus appropriées, de la personnalité de quelqu'un·e? Est-ce qu'elles commencent à avoir une influence négative sur la vie de quelqu'un·e, ou peut-être une influence positive que le médecin juge autrement?; sont-elles en train de causer une gêne pour les autres, ou de susciter des regards étrangers désapprobateurs?; est-ce qu'elles entraînent une communication bruyante, au point d'être embarrassante, d'idées socialement subversives? ; est-ce qu'elles amènent quelqu'un·e à crier, pleurer, ou hurler de joie en public?

La définition même d'un TP confère aux médecins, aux psychologues universitaires, et aux psychologues libéraux non accrédité·es un monopole légitime concernant la détermination de qui est «anormal·e», de qui sera officiellement catégorisé·e de la sorte, et de qui aurait besoin que ses qualités distinctes et uniques ne soient «réadaptées». Les anormalités de la personnalité féminine semblent être tellement uniformes et prévisibles qu'elles sont presque toujours causées par une ou plus parmi trois maladies mentales. Si une femme, en raison de la personnalité qui la rend distincte de tout autre être humain·e, ne parvient pas à se conformer aux règles concernant la féminité acceptable socialement, elle doit alors se conformer à l'une des listes de symptômes du DSM. La conformité est évidemment incontournable.

Chacun des troubles de la personnalité diagnostiqués presque toujours chez les femmes – le TPH, le TPB, et le TPD (O’Donohue et al. 2007) – peuvent sembler être des caricatures de certaines femmes mythiques du passé et du présent, et sont même présentés de cette façon, comme nous allons bientôt le voir. Quand ils sont combinés, leurs critères constituent un continuum de comportement féminin acceptable – il n'est pas surprenant que chacun de ces troubles soient comorbides entre eux, mais pas avec d'autres TP.

Comme le TPB est devenu le trouble de la personnalité le plus fréquemment diagnostiqué, il est le sujet de beaucoup plus de recherches, et de zèle, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'institution psychiatrique. Cependant, ces trois troubles doivent être examinés comme un ensemble, puisqu'ils ont influencé entre eux leurs critères, et ensemble ils révèlent davantage concernant la régulation des femmes, et les rôles à la fois mouvants et stables qui sont attendus des femmes. Les critères officiels pour les trois troubles peuvent être trouvés dans les Appendices A, B, et C. Les processus conduisant à leur cristallisation en 1980 démontrent également les différentes façons par lesquelles l'institution psychiatrique utilise le langage pour légitimer ses affirmations.

Le trouble le plus couramment diagnostiqué, culturellement reconnu, et de plus en plus controversé, le TPB, a été développé à partir de concepts très différents de ceux qui le définissent aujourd'hui. Le terme «borderline» [en anglais « borderline » est synonyme de «frontière», et peut également se trouver traduit par «état limite» en français] a été employé pour la première fois par Adolf Stern en 1938 pour décrire des patient·es qui étaient plus malades que des «névrosé·es», mais pas aussi malades que des «psychotiques» (Shaw and Proctor 2005:486). La «limite» en question était celle entre l'agitation et la schizophrénie, et «borderline» devint effectivement un terme populaire pour faire référence à des patient·es qui semblaient présenter une forme plus «légère» de schizophrénie – le comportement genré n'étant pas significatif sous cet usage du terme «borderline». L'expression devint assez contagieuse, et fut bientôt également utilisée couramment par des membres de la communauté psychiatrique pour se référer à une variété de conditions, jusqu'au milieu des années 70, lorsque Kernberg, un psychiatre très influent et membre du conseil de l'AAP, décida de redéfinir «borderline» comme un syndrome plus spécifique. Le définissant comme «un niveau de désorganisation de la personnalité caractéristique de la forme la plus grave de pathologie du caractère», «l'organisation de la personnalité borderline», affectant principalement les femmes, était caractérisée par une construction faible du moi, de l'anxiété menant à l'impulsivité, de l'instabilité émotionnelle, des perversions sexuelles, et l'utilisation de mécanismes de défense primaires tels que le «clivage du moi» – percevant les autres comme entièrement bon ou entièrement mauvais, sans «zone grise» (Zanarini 2005:9). Sa cause principale était le «maternage inadéquat», soulageant les hommes de toute responsabilité et pathologisant doublement les femmes. Dans ce cas, un langage familier aux clinicien·nes a été utilisé pour décrire un trouble nouvellement conceptualisé.

Le TPB est maintenant le plus courant diagnostic de TP, et sa prévalence augmente en comparaison à des diagnostics qui ne sont pas des TP (Shaw et Proctor 2005:483).

En définissant le TPH, plutôt que d'utiliser un ancien terme pour façonner un nouveau trouble, un nouveau terme a été utilisé pour faire référence à un ancien trouble. Ces deux techniques sont couramment utilisées pour répandre une légitimité scientifique, détournant l'attention des bases scientifiques très floues des TP comme celles des autres troubles du DSM. Des classifications aux consonances scientifiques créées par la puissante et fiable institution psychiatrique, précédemment inconnues du public, sont acceptées aveuglement, puisque les gens présument que leurs créateurices ont un savoir supérieur concernant le corps et l'esprit humain, et que les non-scientifiques ne peuvent comprendre de telles complexités ni la terminologie utilisée pour les décrire. Le public a confiance et foi en la médecine et ses «expert·es». Comme à chaque publication du DSM, une masse de nouveau troubles émergent, des troubles anciens qui étaient tombés en désuétude apparaissent souvent refaçonnés, déguisés par l'utilisation d'un nouveau langage (Cermele et al. 2001). Un exemple frappant et plus connu de ce processus est celui d'une autre condition réservée aux femmes, dont le nom est passé de «syndrome prémenstruel» dans le DSM-III, à «trouble dysphorique prémenstruel» dans le DSM-IV (AAP 1968, 1980, 1994).

Une recherche récente sur le TPH, qui anticipait la sortie du DSM-IV en 2012, réalisée par les psychologues Baglov, Fowler, et Lilienfeld introduisait le trouble en offrant un stéréotype particulièrement éhonté pour conceptualiser la condition, demandant à ce que l'on «considère la nature de personnages superficiellement dramatiques, manipulateurices, et en demande d'attention constante tels que Blanche DuBois dans la pièce de Tennessee William «Un tramway nommé désir» » (Blagov et al. 2007:203). Cette utilisation de personnages fictionnels comme cas «d'école» pour les trois TP se révèle être un motif pour examiner la littérature clinique. Sous couvert maintenant d'un langage plus «scientifique», le TPH est simplement un nouveau nom pour le trouble anciennement appelé «hystérie».

Tandis que l'hystérie était originairement liée à la faiblesse féminine provenant du sexe biologique, couplée à des problèmes physiologiques avec les organes reproductifs, Freud et d'autres psychanalystes ont considéré ses causes comme dérivées du phénomène psychique de l'«envie de pénis» et de l'«angoisse de castration» (e.g., Freud et Breuer 1895). Ces deux conceptions citent les mêmes causes – l'hystérie est une maladie résultant essentiellement du fait de ne pas être un homme – pathologisant la féminité en elle-même (Didi-Huberman 2004). Le DSM-I incluait une condition appelée «hystérie», tandis que le DSM-II adoptait le terme de «personnalité hystérique», la déplaçant vers la catégorie de trouble fondés sur la personnalité. Dans le DSM-III le mot hystérique est laissé tombé et «histrionique» est adopté, dérivé du latin «histrio» signifiant «acteur/actrice», dénotant la même théâtralité dramatique attribué à l'hystérie, mais sans le bagage de l'ancien terme (Blagov et al. 2007:206-207).

Les critères originaires du DSM-III (AAP 1980) pour le TPH se chevauchent nettement avec ceux du TPB, incluant une «crise ou explosion de colère irrationnelles» et une «propension aux tentatives de suicide manipulatrices». Le DSM-III-R (AAP 1983) a éliminé ces similarités, assignant la colère et la manipulation exclusivement au TPB, et ajoutant au TPH la «séduction inappropriée» et le «discours impressionniste». Une proposition faite pour anticiper le DSM-V, qui n'est pas encore «empiriquement» testée, réside dans l'inclusion de la «pseudo-hypersexualité», impliquant que les individus souffrant de TPH, tout acteurices qu'iels sont, «jouent» la sexualité manifeste, tout en évitant une réelle intimité et restant sexuellement insatisfait·es (Blagov et al. 214). Si cela était inclus dans le DSM-V, cela entraînerait un retour en arrière vers les premières notions d'hystérie, enracinées dans des conceptions sur les femmes sexuellement insatisfaites, et qui pendant un temps étaient traitées par un médecin en appliquant un objet vibrant dans les parties intimes des femmes. La pathologisation de la sexualité féminine a été un dispositif clé dans la régulation des femmes, utilisée bien avant que la psychiatrie n'existe. Cette problématique sera explorée en détail dans le prochain chapitre.

Bien que la dépendance pathologique a été décrite dans le DSM-I, influencée par le concept de Freud de «fixation orale» et ses conséquences, on lui a conféré le statut de trouble de la personnalité au moment de la publication du DSM-III, qui la définit en utilisant trois grands symptômes, particulièrement vagues même pour la rhétorique classique du DSM : 1) passivité dans les relations interpersonnelles, 2) volonté de subordonner ses besoins à ceux des autres, et 3) manque de confiance en soi. Le DSM-III-R a inclus des critères bien plus détaillés, qui ont été reportés textuellement dans le DSM-IV (voir l'appendice C). Comme le TPD est le moins diagnostiqué de ces trois troubles, ces critères n'ont pas été sujets au même nombre de recherches que les deux autres.

Deux «modèles» psychologiques prédominant et influant du TPD résident dans le «modèle cognitif» et le «modèle comportemental et d'apprentissage social». Le premier décrit ses causes comme étant un monologue interne pathologique dans lequel des «affirmations de soi négatives» mènent à un cercle vicieux, renforçant et amplifiant des sentiments d'impuissance. Le second attribue la responsabilité à la/au principal administratriceur de soins durant le bas âge et la petite enfance – mettant le plus souvent l'accent sur le rôle de la mère – qui aurait favorisé le comportement dépendant, et donc causé un comportement dépendant dans d'autres relations interpersonnelles plus tard dans la vie, par anticipation consciente ou inconsciente d'une réponse positive similaire (Bornstein 2007:310).

Bornstein, le psychiatre en chef travaillant sur la révision des critères du TPD pour le DSM-V, a proposé cette série d'amendements : 1) références explicites aux processus «cognitifs» précédemment mentionnés qui produisent la pathologie, 2) le retrait des symptômes trois et quatre, et 3) leur remplacement par deux symptômes qu'il croit être plus empiriquement valides – «utilise une variété de stratégie de présentation de soi (ex : flatterie, supplication, exemplification, promotion de soi) pour obtenir et maintenir des relations aidantes et enrichissantes» et «focalise ses efforts dans la consolidation d'une relation avec la personne la plus susceptible d'être en mesure d'offrir de l'aide et du soutien sur le long terme» (Bornestein 2007:317). S'ils sont adoptés, il semblerait que les magasines féminins qui ont créé les tests de personnalité pourraient alors être tenus responsables de la production en masse de symptômes du TPD chez leur lectorat.

Un des concepts les plus cités dans le champs des études des femmes et du genre, mentionné plus tôt comme étant un cadre théorique important, est la socialisation différentielle des enfants mâles et femelles. Alors que les garçons sont encouragés par les agents de socialisation primaire et secondaire à être indépendants, sont moins aidés lorsqu'ils apprennent de nouvelles tâches, et sont moins réconfortés lorsqu'ils pleurent ou sont frustrés, les filles sont plus dorlotées, plus aidées, plus encouragées à dépendre sur d'autres pour les besoins émotionnels, physiques, et psychiques, ce qui leur apprend en dernière instance à être, dans un certain degré, dépendantes. Ainsi, il n'est pas surprenant que la plupart des individus que les psychiatres jugent comme étant entré·es dans le domaine de la dépendance «pathologique», soient des femmes.

Un certain nombre d'études (e.g. Cross et al. 2000, Padilla 1995, Trull et Widiger 2003), conduites depuis la publication du DSM-III, démontrent la nature intrinsèquement liée à la culture et au genre des troubles de la personnalité, ainsi que leurs fondements nettement non-scientifiques. Trois écueils illustrés par ces études présentent un défi à la validité de ces catégories de maladies que sont le TPB, le TPH, et le TPD : 1) le problème de comorbidité entre ces trois troubles, 2) leurs relations avec d'autres troubles de la personnalité qui sont associés plus fréquemment aux hommes, et 3) leur taux très différents d'apparition dans les pays qui ne sont pas d'Amérique du Nord, où d'autres traits personnels sont valorisés culturellement.

La comorbidité, la co-occurence statistiquement significative d'un trouble avec un autre est plus une règle qu'une exception dans le DSM, et à la suite de son argumentaire des critères de chaque troubles, on trouve une liste des autres troubles qui l'accompagnent fréquemment. Un certain nombre d'études conduites dans les années 1980 démontraient une comorbidité significative entre les trois troubles de la personnalité «féminins». De plus, menant au DSM-III, les projets concernant l'étiologie du TPH incluaient la notion que la condition était caractérisée par la dépendance. Évidemment, cette idée fut retirée de la publication pour réduire le chevauchement entre le TPH et TPD. Ce changement, comme beaucoup dans le DSM, a été fondé non pas sur la moindre scientificité, mais était une question de commodité pour ces auteurices, donnant à leur cadre une apparence plus concise et moins complexe que la vérité ne le voudrait. Il y a toujours beaucoup de débats dans ce domaine concernant la possibilité que la «dépendance» puissent mettre en évidence un TPH, et soit ce qui motive le comportement manifesté dans sa symptomatologie (ibid). Il n'est pas surprenant que l'édition actuelle du DSM classifie ces trois troubles comme comorbides les uns vis-à-vis des autres.

Bien que nous ne les examinions pas en détail dans ce document, d'autres troubles de la personnalité sont diagnostiqués beaucoup plus souvent chez les hommes, l'exemple le plus extrême étant le trouble de la personnalité antisociale (TPA). Des biais de sexe dans les diagnostics de TPH et TPA se sont révélés être étonnement significatifs dans une étude menée par Ford et Widiger (1989). Les chercheuseurs ont obtenu une série de dossiers de patient·es diagnostiqué·es d'un TPA, d'un TPH, ou bien de caractéristiques mitigées, et où le sexe de chaque patient·es était «féminin», «masculin», ou «non spécifié». Lorsqu'un cas était compatible avec les caractéristiques du TPA, il était diagnostiqué beaucoup plus fréquemment chez les hommes (42%) et chez les genres non spécifiés (48%) que chez les femmes (15%), qui recevaient à la place un diagnostic de TPH (46%). Lorsque des antécédents de TPH étaient soulevés, il était diagnostiqué à un taux extrêmement haut chez les femmes (76%), à un plus faible taux chez les genres non spécifiés (68%), et au plus bas chez les hommes (44%). De telles découvertes ont amenées quelques «expert·es» à proposer de concevoir le TPA et le TPH comme les formes genrées de la même condition (Baglov et al. 216). En effet, les deux se caractérisent principalement par un profond besoin d'être remarqué·e par les autres, mais selon le DSM leurs buts diffèrent – le but de l'individu qui a un TPH est la connexion émotionnelle avec les autres, alors que sa/son homologue qui a un TPA recherche des bénéfices matériels et professionnels. Ces motivations respectives peuvent être vues comme un reflet fidèle des rôles de genre traditionnels.

Les critiques de toutes les dix catégories de TP du DSM, efficacement réduites au silence par l'hydre de la psychiatrie dominante, incluent des universitaires tels que Gove et Tudor (Gove et Tudor 1977), qui soutiennent que toutes ces catégories ne font que décrire un comportement qui n'est pas conforme aux normes sociales, ainsi que regrouper les dissident·es dans des catégories par genre (Becker 1997:39). La catégorie uniformément «masculine» de TPA est aussi comparée avec le TPB. Comme dans le cas du TPH, de nombreux critères de chaque troubles décrivent presque la même conduite ; répertoriés sous la catégorie de TPA il y a la manipulation et la fausseté, l'impulsivité, et l’agressivité – le mot «colère», souligné dans la définition du TPB, est curieusement absent de la description du trouble évidemment «masculin». Encore une fois, les deux troubles diffèrent par rapport aux conséquences sociales énoncées. Le TPB est exclusivement décrit par rapport au fait qu'il mène à l'instabilité dans les relations et l'image de soi, alors que le TPA est considéré comme menant à une incapacité à honorer le travail et les obligations financières, et à un «mépris pour la sécurité du moi (et des autres)» (AAP 1994). Les normes sociales auxquelles il faut adhérer en priorité sur la base de son genre sont rendues très claires.

La pathologisation et la médicalisation spécifique de la «colère» des femmes, telle qu'elle est opposée à l'«agressivité» des hommes ; demande une enquête plus approfondie. Chacun de ces trois troubles de la personnalité se focalisent sur un certain type d'«émotivité» pathologique des femmes. Le TPH pathologise largement l'«émotivité exagérée et théâtrale», le TPD pathologise «le caractère craintif et l'impuissance», et le TPB est considéré responsable de la pathologisation de la «colère» des femmes, qu'elle soit «inappropriée», «intense», ou «difficile à contrôler».

Dans le savoir populaire, celui auquel Hacking attribue une grande influence dans la constante redéfinition des catégories diagnostiques, la caractéristique la plus reconnue de la femme «borderline» est la colère, souvent familièrement appelée la «rage borderline». Le mot «rage» est inquiétant, impliquant une irruption de colère qui a été retenue, avant de finalement explosé (Wirth-Cauchon 2001:169). La société encourage les femmes à supprimer la colère – crier n'est pas digne d'une femme et les cris d'une femme sont toujours «hystériques» – ainsi, la plupart des expressions de colère des femmes peuvent être classifiées comme de la «rage». Les universitaires féministes qui examinent la psychiatrie ont pris en compte le thème de la pathologisation de la colère des femmes, qui pour la plupart provient de leur position subordonnée dans un système patriarcal. Les termes «inappropriée» et «intense» rendent la colère des femmes irrationnelle et la dépolitise, la rendant «folle». Becker nomme le TPB comme un «accomplissement rhétorique» qui dépeint la colère des femmes comme une «force écrasante et irrationnelle» qui nécessite une intervention et un contrôle (Becker 1997:121).

Ironie du sort, dans la plupart des recherches disciplinaires, la colère est reconnue comme une force positive qui peut être canalisée vers des activités productives. Pourtant, la même discipline dit aux femmes que leur colère est irrationnelle, primaire, destructive, et doit être étouffée. Dans ce double standard, la peur manifeste que la colère canalisée des femmes puissent représenter une menace à la solidité de l'ordre patriarcal actuel devient palpable. En dépeignant la juste colère des femmes comme insensée, sa légitimité est rejetée. La colère d'une femme face aux attentes de passivité et de soumission, dirigée vers les hommes (comme le père, le mari, ou le psychiatre), indique qu'il y a quelque chose «qui ne tourne pas rond chez elle». Pour être une femme adulte «normale», il faut être satisfaite de sa position subordonnée, ou au moins sembler l'être.

Enfin, d'autres données provenant d'études réalisées au cours des deux dernières décennies évoquent la nature culturellement marquée des troubles de la personnalité. Bien qu'une étude suffisamment large n'ait pas été menée, des auteurices tels que Johnson (Johnson 1993) et Padilla (Padilla 1995) font l'hypothèse à partir d'un échantillon plus petit que le TPH est moins fréquemment diagnostiqué dans les pays asiatiques, et d'autres cultures qui découragent la sexualité manifeste, mais plus souvent dans des pays hispaniques et d'Amérique latine où une sexualité plus ouverte est la norme (ref – 213). Tandis que des cultures isolées géographiquement sont généralement les sujets de ces études, on pourrait aussi considérer les changements qui ont lieu dans une même culture à travers le temps, comme ceux de l'Amérique du Nord et du Royaume-Uni pendant le début des années 80, y compris, mais pas exclusivement, ceux étant dus aux réformes néo-libérales. Ainsi, on pourrait en déduire que le TPH existe dans notre contexte Nord-Américain au moins en partie en tant que résultat de caractéristiques de cette culture – qui est consumériste, et qui demande dans une certaine mesure ces comportements chez les femmes. Il est indéniable que les médias, des magasines féminins jusqu'aux publicités pour les «films de filles» populaires, indiquent d'emblée aux femmes de consacrer beaucoup de temps et d’énergie à perfectionner leur apparence physique (critère 4), à suivre certaines mœurs pour la séduction des intérêts romantiques des hommes (critère 2), et d'attendre de l'intimité et l'engagement d'un partenaire après une courte période de séduction (critère 8). Une nouvelle conceptualisation du TPH mise en avant par Westen et Shedler en 1999 suggère même d'inclure le nouveau critère de «fantasme de trouver l'amour idéal et parfait» (Westen et Shedler cité par Blagov et al. 2007) – un idéal qui est indéniablement perpétué ad nauseam par les médias destinés aux femmes.

Les expert·es psy qui souscrivent à la «perspective de l'attachement» concernant les troubles mentaux proposent que le TPH est compatible avec un «style d'attachement inquiet», dans lequel quelqu'un·e maintient un modèle mental positif des autres mais un modèle négatif du moi. Encore une fois, l'idéal féminin standard dépeint assez obsessivement dans les médias peut produire cet effet. Aucune étude n'a examiné cette corrélation.

Depuis que le TPB est devenu aussi incontournable, l'ensemble des études concernant cette condition spécifique incluent non seulement celles qui ont été conduites au sein de la psychiatrie dominante, mais aussi quelques-unes réalisées par des chercheuseurs féministes critiques, qui ont employé un certain nombre de méthodes de recherche différentes. Le travail de Wirth-Cauchon, la recherche la plus largement reconnue dans le thème des études féministes sur le TPB, analyse les commentaires des thérapeutes et de leurs client·es d'un point de vue féministe et post-moderne (Ross 151). Cermele et. al. ont soumis le recueil de cas cliniques du DSM à une analyse de contenu qui a révélé des différences consistantes dans le langage utilisé pour décrire des patient·es femmes ou hommes, reflétant souvent des conceptions oppressive de la féminité. Quelques projets académiques quantitatifs utilisant des questionnaires ont aussi été menés. Sprock et Morey et al. ont interrogé à la fois des hommes et des femmes, leur demandant d'évaluer les critères, secrètement tirés des critères des TP du DSM, sur certaines bases relatives au genre. Aucune étude n'a révélé de différences significatives entre les réponses des hommes et des femmes, et les deux chercheurs en ont conclu que les critères de TP du DSM n'étaient pas tous biaisés par rapport aux hommes et femmes (Morey et. al.).  Cependant, les deux études ont négligé certains facteurs importants : les effets des caractéristiques de la demande dans les questions, la nature intrinsèquement genrée des critères eux-mêmes, le système patriarcal plus large dans lequel existent à la fois les hommes et les femmes et dans lequel les femmes pathologisent leur propre comportement, et la possibilité de la pathologisation différentielle de caractéristiques de la part du diagnostiqueur lorsqu'elles sont présentées par différents sexes. Ainsi, une recherche plus intensive, critique, et substantielle est absolument nécessaire.

Le concept de l'«effet de boucle» de Hacking est démontré dans la définition et redéfinition de tous les troubles de la personnalité, puisque les caractéristiques et les conduites des individus diagnostiqué·es sont observées, et deviennent ensuite les bases pour la révision des critères du DSM. Le savoir populaire sur les troubles, spécialement celui concernant le TPB puisqu'il est devenu si célèbre, influence le comportement des femmes diagnostiquées, et suscite un traitement particulier venant des autres – à la fois des profanes et des experts – qui à son tour a également un effet sur la conduite de la personne, initiant le cycle que décrit Hacking. Ce processus sera examiné en détail dans la section cinq, qui examine le rôle de la culture et le discours populaire dans les avancements des troubles de la personnalité. Cependant, tout d'abord nous examinerons l'histoire de l'oppression des femmes qui sous-tend ces troubles, en accord avec l'argument foucaldien qui veut que l'histoire est cruciale si l'on doit comprendre le présent.

4. L'histoire de l'oppression des femmes : sorcellerie, hystérie, troubles de la personnalité
 

Le chemin allant de la sorcellerie, à la folie morale, et ensuite à ces troubles de la personnalité «féminins» – borderline, dépendante et histrionique – incarne le transfert de pouvoir et d'autorité de la religion à la science qui a pris place au cours des derniers siècles. Chaque classification provenant de chaque époque respective, à laquelle un statut «officiel» a été accordé par des experts (toujours des hommes) représentant le savoir absolu des institutions les plus importantes et par conséquent traitées comme des faits, définit les limites entre des comportements acceptables et inacceptables pour les femmes, et la déviance impliquant souvent de marcher à la frontière entre le masculin et le féminin (Wirth-Cauchon 2001:85-87). Chaque classification initie un contrôle social, puisque son application justifie une certaine forme de punition et/ou de «traitement». Utiliser la méthode généalogique de Foucault et créer une histoire du présent en examinant le discours historique – discours étant non seulement représentatif mais formatif – concernant la régulation sociale des femmes révèle des tendances (Wodak et Meyer 2001); certaines caractéristiques émergentes n'ayant fondamentalement pas changé du tout – ce qui a changé est l'institution légitimant la désignation des critères pour la féminité déviante qui méritent une intervention, et le langage utilisé pour les décrire. La méthode généalogique nous permet de mieux comprendre la société actuelle en obtenant une meilleure compréhension du passé, ce qui mène à la réalisation que les projets régulateurs actuels démontrent une étroite ressemblance avec ceux d'autres époques. La connaissance obtenue à travers une analyse généalogique et historique peut grandement être bénéfique à l'interruption réussie de modèles d'oppression.

Ce processus et son utilité sont vivement illustrées par l'exemple de la pathologisation de conduites romantiques et sexuelles inappropriées pour les femmes. Dans la période qui précède l'Europe des Lumières, une femme qui vivait seule, sans un compagnon masculin avec lequel elle aurait pu se reproduire, ou une femme qui attirait trop d'hommes – révélant avoir «un engouement pour le sexe» en raison de ses «aventures amoureuses illégitimes» – pouvait être assez certaine d'être accusée d'être une sorcière (Usher 1991:49). En s'ancrant dans l'absolue autorité accordée aux institutions religieuses, les sorcières étaient non seulement suspectées et accusées de désobéir aux normes de genres, mais aussi d'avoir des relations sexuelles avec le diable. On peut y voir le reflet de deux principes sociaux qui continuent d'imprégner les valeurs et les croyances sociétales concernant les femmes aujourd'hui : le lien entre la sexualité féminine et à la fois le «mauvais» et le «danger», ainsi que la double contrainte à laquelle les femmes font face puisqu'elles sont critiquées à la fois pour être trop sexuelles et trop «frigides». Les femmes qui échouent à se conformer aux rôles attendus d'épouse et de mère étaient donc non seulement stigmatisées et rejetées, mais recevaient également une classification officielle qui justifiait une «correction» par la punition corporelle, ou après son échec fréquent, une condamnation à mort. Les femmes guérisseuses étaient également accusées, elles qui faisaient l'erreur fatale d'empiéter sur le champs naissant, décidément masculin, et donc patriarcal, de la médecine.

Le «DSM» de la sorcellerie, le Malleus Malificarum, un texte hautement sexuel, nommait les signes montrant qu'une femme était probablement une sorcière, qui s'apparentent aux critères diagnostics nommés dans le DSM moderne. Le livre était présent dans la plupart des maisons même si la majorité de ses résident·es étaient analphabètes, sa présence étant surtout symbolique, mais n'importe qui pouvait accuser formellement une certaine femme d'être une sorcière, initiant une enquête. Les diagnostics officiels étaient traités par le «piqueur» à qui, comme son homologue moderne le psychiatre, était accordé le pouvoir et le privilège d'entrer dans n'importe quel village et de soumettre n'importe quelle femme à un test – pas un test sur sa santé mentale, mais sur sa santé spirituelle, puisqu'une piqûre au doigt était censée causer une certaine quantité de perte de sang en fonction du fait que la personne ait été ou non impliquée dans des relations avec le diable (Usher 1991:53). Le piqueur pouvait faire enfermer contre son gré n'importe quelle femme qui, à ses yeux, avait échoué au test – une tradition perpétuée aujourd'hui par le psychiatre, armé non pas d'une aiguille mais de listes tirées du DSM, de séries de questions comprenant des réponses correctes et incorrectes censées déterminer si quelqu'un·e est un·e «malade mental·e», et d'une véritable mine de produit psycho-pharmaceutiques à prescrire selon son gré (voir Healy 1997).

Les femmes chanceuses qui étaient accusées de sorcellerie mais qui échappaient à l’exécution recevaient une «thérapie» faite par les «experts» de l'époque sur ces questions – les exorcistes et les guérisseurs spirituels – leur donnant une seconde chance de se conformer aux attentes comportementales pour les femmes, les «guérissant» ainsi. La thérapie, née dans le confessionnal, est devenue un dispositif pour perpétuer un système patriarcal, veillant à ce que les rôles et les hiérarchies de genres soient maintenues, masqué par des revendications d'altruisme et d'amélioration de la qualité de vie des femmes, mais servant réellement à préserver un ordre social construit sur la subordination des femmes. Si le «thérapeute» échouait à «guérir» une femme de ces tendances démoniaques, son incapacité à le faire était attribuée à l'esprit démonique récalcitrant – plus tard remplacé par la «maladie» récalcitrante (Usher 1991:44).

Pendant le siècle des Lumières, l'utilisation de la mort comme un moyen de dissuasion est tombé en disgrâce en Occident (voir Foucault 1977a), mais le fait de traiter comme déviantes les femmes qui violaient les codes de la féminité hégémonique a perduré. La sorcellerie a été liée à la folie pour la première fois par Johann Weyer en 1563, mais la transition complète de la sorcellerie à l'hystérie a commencé à l'aube du 19ème siècle, avec le «père de la psychiatrie», Philippe Pinel, déclarant que les démons de toutes descriptions devaient être classé·es soient chez les maniaques soient chez les mélancoliques (Pinel tel que cité par Usher 54 1991 : 44). Foucault soutient que le concept d'hystérie a émergé au début des années 1800 comme un nouveau terme utilisé par les hommes pour décrire des comportements féminins «difficiles» en l'absence de «sorcellerie» et correspondant au changement sociétal passant de la croyance à la religion à la croyance en la science (Foucault 1965).

Un terme médical qui a émergé aux côtés de l'hystérie, la «folie morale», renvoie à un langage hautement illustratif de la lutte de cette période entre religion et science. La «doctrine de la folie morale», telle que décrite par Prichard, tente de créer une philosophie et un programme hybride basés sur le principe que l'immoralité aurait un fondement biologique (Rimke 2009:13). Les partisans de la doctrine se sont appropriés les découvertes nouvelles qui contredisent la foi et sont issues de la biologie de l'évolution pour construire un argumentaire considérant que l'existence et la procréation des humain·es de pauvre constitution qui s'adonnent entre elleux à des actes immoraux mèneraient à une dégénérescence catastrophique de la séquence évolutive, puisque l'immoralité était fonction de la biologie individuelle. La création de la folie morale a donné aux scientifiques du dix-neuvième siècle un monopole dans la résolution des dilemmes moraux, et ils en sont venus à être perçus comme des «experts» en débauches de toutes sortes – bien sûr sans y participer eux-mêmes – pouvant servir de force bienveillante au sein des changements sociaux rapides et de la désintégration des formes traditionnelles de régulation et de solidarité qui s'accéléraient avec la modernisation.

Dressée contre le contexte de changement déstabilisant, qui incluait le triomphe du sécularisme et la métastase du capitalisme, une science humaine a vu le jour, offrant la brillante promesse d'être capable de résoudre les difficultés de la vie moderne, tels que la criminalité et le vice, car ceux-ci pouvaient être attribués à des déficits individuels ou à des psychopathologies, et systématiquement éliminés d'une façon ou d'une autre. La psychiatrie contemporaine est toujours fondée sur ce rêve illusoire, son autorité et son pouvoir reposant sur l'hypothèse que son «expertise médicale» détient la clé pour résoudre les problèmes sociaux, un·e individu après l'autre (ibid). La folie morale peut être perçue comme un intermédiaire entre l'ancienne autorité de la religion et la nouvelle autorité croissante de la science. Ces idéaux sont maintenus dans les sciences humaines et la médecine psychiatrique. Une analyse plus détaillée de l'hystérie, une des premières maladies mentales de la psychiatrie a être largement reconnue, révèle les contradictions, l'ignorance, et la complaisance dans le maintien de l'oppression qui définit encore la discipline.

Le terme «hystérie» fut dérivé du mot latin husterikos, qui signifie littéralement «de l'utérus» ; son utilisation comme adjectif a commencé quelque part au court du dix-septième siècle. La mise en place de l'hystérie en tant que condition médicale du milieu à la fin du dix-neuvième siècle (Foucault 1965, Szasz 1974) a permis à un nombre bien plus grand de femmes d'être pathologisées (Wirth-Cauchon 2001:101). La sorcellerie s'était focalisée principalement sur les femmes qui défiaient les normes de la féminité, alors que les symptômes qui suscitaient un diagnostic d'hystérie incluaient les évanouissements, les «douleurs», la démarche défectueuse, la fausseté, l'amnésie, les difficultés à respirer, les douleurs migraineuses, les toux nerveuses, les difficultés à manger, les hallucinations, la fièvre, la perte de voix, l'asociabilité, et l'ennui (Freud 1905:46-52). Le cliché qui veut que n'importe quel inconfort féminin puisse être expliqué par l'«hystérie» n'est pas une exagération.

L'importance ultime de la raison établie pendant le siècle des Lumières et la nouvelle dichotomie entre la rationalité masculine et l'émotivité des femmes, a permis d'associer toutes les femmes à la folie dans une certaine mesure. Tandis que la science, avec ses «experts» nouvellement nommés, prenait la place de la religion, la pathologie féminine était immédiatement reclassée, et ces symptômes comme son traitement étaient reconceptualisés d'une façon qui correspondait à la nouvelle idéologie. Le fait que la myriade de symptômes attribués à l'hystérie semble tout de suite absurde de nos jours donne une idée de la foi aveugle que les non-expert·es avaient dans la «médecine» et les médecins, et du pouvoir que cette institution et ces représentants ont gagné en retour. Les femmes déviantes étaient médicalisées et assignées au statut de patientes, sujettes aux «cures» médicales prodiguées par des hommes, dont la constitution biologique et l'affinité pour la «pensée rationnelle» faisaient d'eux les meilleurs candidats pour les nouveaux postes médicaux qui devaient être pourvus par des médecins (Maines 1998).

La science a également renforcé la double contrainte dans les conceptions de la sexualité féminine, reliant l'utérus et le cerveau, et médicalisant la morale. À côté des inconforts banals précédemment nommés et associés à la maladie de l'hystérie, une conceptualisation plus cohérente et concise de la condition tournait autour de la sexualité féminine déviante. Le sexe en dehors du mariage et la «frigidité» était tous les deux désignés comme des symptômes clés de l'hystérie, le dernier étant plus fréquent et sujet à bien plus de réflexions théoriques, y compris celles des premiers psychanalystes. Le manque de désir de participer à des relations sexuelles était relié à trois réactions somatiques supposées être vécues par les hystériques : 1) l’excitation sexuelle qui résulte non pas en plaisir, mais produit des émotions déplaisantes, un phénomène appelé «inversion de l'affect», 2) le déplacement de sensations, par exemple ressentir une lourdeur sur sa poitrine au lieu d'une douce caresse des lèvres lorsque l'on est embrassé·e, et 3) l'évitement des hommes sexuellement excités, et des sentiments de répulsion à la vue d'hommes exprimant de l'affection (Freud 1905:59).

Alors que la promiscuité sexuelle avait été condamnée et punie depuis longtemps, le manque de plaisir et de désir pour le sexe dans le contexte moral du mariage était un malheur plus intime, jusqu'à ce qu'il devienne soudainement un sujet de discussion publique après avoir été désigné comme le symptôme d'une «maladie». Bien que les autorités et les textes religieux aient prêché pendant des siècles au sujet de l'obligation morale d'une femme à obéir à son mari et à se soumettre à toutes ses demandes, sexuelles ou autres, le plaisir sexuel des femmes n'a presque jamais fait partie du débat. L'hystérie a aboli ce tabou conversationnel, mais la compréhension de la sexualité féminine n'y a rien gagné, elle s'est simplement trouvée régulée d'une nouvelle façon – une façon qui réduisait la gamme des sensations et comportements féminins «normaux».

Les femmes victimes d’agressions ou de viols qui étaient traumatisées étaient envoyées à l'asile – leur incapacité à être excitées par la sollicitation sexuelle masculine étant toujours considéré comme symptomatique d'une «maladie» – tout comme les femmes qui vivaient dans la promiscuité sexuelle, et les femmes qui portaient un enfant illégitime. La médecine offrait des traitements thérapeutiques au cours desquels un médecin appliquait un appareil vibrant aux parties génitales de la patiente pour soulager l'anxiété, ainsi que le «remède» extrême par clitoridectomie lorsque les autres remèdes avaient échoués (Maines 1998). Il est difficile d'imaginer une explication rationnelle quant à l'utilisation de ces deux procédures pour traiter la même affection si celle-ci se manifeste effectivement par une difficulté à éprouver du plaisir sexuel, puisque la première procédure cause un intense plaisir sexuel à une femme, tandis que l'autre élimine physiologiquement toute possibilité d'éprouver du plaisir sexuel pour le reste de sa vie. L'appareil à électrochocs n'avait pas encore été inventé, mais lorsqu'il le fut, il fut aussi utilisée pour traiter les femmes hystériques, dont très souvent les symptômes surgissaient encore une fois après qu'elles aient été violées et traumatisées (Usher 1991:72). Le vécu de violence sexuelle est une caractéristique très courante dans l'histoire de vie des femmes qui reçoivent de nos jours un diagnostic de trouble de la personnalité (Kluft 1990), dans un échantillon, 42% des patient·es hospitalisé·es ayant reçu un diagnostic de TPB avaient subi des abus, un phénomène qui sera discuté dans la dernière partie (Brown et Anderson 1991:58).

L'hystérie, comme la sorcellerie et bientôt les troubles de la personnalité, touchaient les femmes seules bien plus souvent que les femmes mariées, puisque les «vieilles filles» échouaient à accomplir leur destinée d'épouses, de mères, et de travailleuses domestiques – ainsi, puisqu'elles rejetaient les attentes sociales pour les femmes, la conclusion logique était qu'elles devaient être «folles» – souffrant d'une maladie de l'esprit. La «privation de compagnie masculine» était largement acceptée comme une des causes clés de l'hystérie, à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté médicale (Usher, 79: 1991). Pourtant, manquer de compagnie masculine était aussi un des plus courants «symptômes» de l'hystérie. La grande autorité accordée à la médecine et à sa nouvelle sous-catégorie, la psychiatrie, est démontrée par sa capacité à citer le même phénomène comme cause et comme symptôme d'une maladie sans être questionnée sur sa validité. Le même type de logique circulaire peut être trouvée dans les conceptions actuelles des troubles de la personnalité. Un des huit critères du DSM-IV pour le TPB est l'implication dans des relations instables, alors que les expressions émotionnelles intenses de l'individu borderline sont censées lui causer des relations turbulentes et instables.

L'expression émotionnelle intense était une autre des caractéristiques les plus communes et les plus discutées de l'hystérie, avec une attention particulière portée à la gêne que cela occasionnait chez les autres, une tendance que nous allons continuer à observer tandis que nous examinerons les troubles de la personnalité modernes. Tout comme la sorcellerie, et malgré que ses causes aient été considérées comme relevant d'une pathologie physiologique individuelle, l'hystérie était caractérisée par ses effets négatifs sur l'entourage de la femme hystérique, et ce phénomène a été décrit avec emphase en 1877 par le psychiatre Mitchell lorsqu'il affirme : «une fille hystérique est un vampire qui suce le sang des personnes saines autour d'elle» (Mitchell cité par Usher 1991:76). De même, le TPB, le TPD et le TPH sont définis en partie par les problèmes qu'ils causent à toute personne ayant la malchance d'être sur le chemin de la borderline, de l'histrionique, ou de la dépendante. Les maux de tête qu'ils causent chez les autres sont sans cesse soulignés dans la documentation sur ces troubles de la personnalité, les distinguant d'autres diagnostics psychiatriques tels que les troubles de l'humeur, qui tendent à se focaliser sur la souffrance de l'individu affecté·e. Ces textes seront examinés en détail dans la partie suivante. Un texte pour praticien·nes explique que le TPB «peut ne pas représenter un problème pour la personne elle-même, mais pour son entourage» (Carlson et. al. 1977:64). Les femmes fortes, au franc-parler et qui osent transgresser les limites de la féminité socialement acceptable (Rimke 2003), ont été et continuent d'être des cibles de choix pour les diagnostics psychiatriques, et avec la publication du DSM III, les femmes qui ne sont pas assez fortes ou franc-parler ont été ajoutées à la liste sous la catégorie de TPD. Les manifestations de protestation, discrètes ou bruyantes, contre les rôles étroits acceptés pour les femmes sont désignées comme les symptômes de maladies.

Pour en revenir à la recherche historique, tandis que le vingtième siècle progressait, une fois encore les femmes qui n'assuraient pas le rôle sexuel féminin «approprié» de dévote vis à vis de leur mari et de ses désirs étaient étiquetées, que ce soit en raison de frigidité, ou de promiscuité sexuelle ; la résistance à l'oppression hégémonique des femmes était pathologisée et médicalisée. Au début des années 50, en grande partie suite à la découverte des premiers médicaments antipsychotiques, la psychiatrie a fini par être considérée comme une discipline de la médecine dédiée aux maladies mentales, définies dans la première édition du DSM (1952), qui est rapidement devenu l'outil principal de la psychiatrie dans ses efforts pour se montrer digne de considération en tant que branche de la science médicale, par la mise en avant de catégories distinctes et empiriques de maladies sur le modèle de celles utilisées pour diagnostiquer les affections physiques.

Dans le DSM, les références à la «moralité» disparaissent tandis que le discours concernant la conduite féminine normale et anormale est habillée de terminologie scientifique. Comme mentionné précédemment, les deux premières éditions du DSM (1952, 1968) incluent respectivement les catégories d'«hystérie» et de «trouble de la personnalité hystérique», qui sont toutes les deux définies par l'affect sexuel le plus fondamentalement «immoral» qui est la sollicitation éhontée de rapports sexuels avec de multiples hommes. La référence à la difficulté de la personne affectée de connaître du plaisir sexuel n'est pas incluse, peut-être à cause de la contradiction évoquée.

Le prochain changement important, qui eut lieu en 1980 avec la publication de la troisième édition (DSM III), a été facilité par son nouveau système «multi-axial» de diagnostics. Le nouveau cadre demandait à ce que le/la clinicien·ne évalue un·e patient·e par rapport à cinq «axes» différents, permettant le diagnostic de troubles multiples en les attribuant à des niveaux différents. Le deuxième axe est consacré aux troubles de la personnalité, cimentant leur légitimité médicale. Alors que la matérialisation de ce nouveau groupe était justifiée comme étant un moyen d'augmenter la conformité de l'utilisation des troubles de la personnalité par les médecins, en pratique il a eu l'effet opposé (Brown 1992:215). L'utilisation d'un langage extrêmement vague et subjectif dans la définition des troubles de la personnalité permet à presque n'importe quelle conduite déviante d'être désignée comme un «symptôme» et utilisée comme critère de tel ou tel trouble, au gré du médecin.

Le TPH, héritier de l'histoire et des connotations négatives associées au terme d'«hystérie», était maintenant accompagné par les deux nouvelles maladies que sont le TPB et le TPD, introduisant encore une nouvelle double contrainte pour les femmes. Judicieusement décrit par un·e chercheuseur comme une image miroir du TPH, le TPD se manifeste par une trop grande dépendance aux autres, tandis que le TPB est marqué par un manque périodique de loyauté vis à vis des autres et une «tendance aux relations instables ...». C'est sans surprise que la promiscuité sexuelle est aussi incluse dans les critères pour le TPB – cette fois-ci sous le thème de l'«impulsivité (dans au moins deux domaines) qui est potentiellement autodestructrice» (AAP 1980).

Ce nouvel ensemble de troubles a encore augmenté de manière exponentielle la probabilité de pathologiser les femmes avec sa myriade hautement variée de signes de maladie. Pour le seul TPB, il existe 93 combinaisons possibles de critères susceptibles de constituer un diagnostic (Becker 2000:423), sans parler du nombre infini de façons dont le/la clinicien·ne est susceptible d'interpréter la terminologie ambiguë utilisée pour définir ces caractéristiques.

La rage féminine en réponse à l'injustice sociale a été régulée et supprimée à travers l'histoire par les mêmes mécanismes qui tentent de réguler la sexualité féminine, et la perturbation qui pourrait être produite par l'organisation de plusieurs femmes «en colère» a été détournée. D'abord inclues dans le concept d'hystérie, et puis concrétisées dans le diagnostic de TPB, la psychiatrie a constamment rendu déviantes les femmes en colère. Le pouvoir de l'institution psychiatrique, sans doute aidée par l'histoire du traitement des femmes antérieur à son existence, a été un si formidable mécanisme régulateur que la différenciation genrée de la colère envahit la vie la plus quotidienne et banale. Lorsque les hommes crient ils «s'affirment», parfois ils peuvent être «méchants» ; lorsque les femmes crient elles sont «folles».

Pour conclure, bien que les sorcières ne soient plus craintes, les femmes qui ne rentrent pas dans le moule social du rôle féminin approprié voire «normal», sont toujours considérées comme dangereuses. On croyait que les sorcières étaient capables d'enlever le pénis d'un homme en jetant un sort particulier (Usher 1991:49). Dans le contexte du phallocentrisme moderne, les femmes déviantes sont accusées d'une capacité plus métaphorique à castrer les hommes, menaçant l'hégémonie de leur position sociale dominante et puissante. Évidemment, la menace de perturbation de la société patriarcale que représentent les femmes subversives a été maîtrisée, bien souvent avec l'aide des médias populaires.

De l'âge de la sorcellerie jusqu'à l'âge des troubles de la personnalité, diverses reliques de médias populaires ont aidé à définir la conduite féminine acceptable, et à mettre en garde contre les conséquences désastreuses qui pourraient se produire si quelqu'une échouait à se conformer à ces normes. Pendant le Moyen-Age, même si la plupart des roturièr·es ne savaient pas lire, aucun foyer ne manquait d'avoir une copie du Malleus Malificiarum – en français Le marteau des sorcières – le guide officiel pour la détection rapide de la sorcellerie. Le livre est profondément sexuel, et délivre des récits imagés des horribles méfaits des sorcières contre d'innocent·es civil·es, en plus de nommer la pléthore de signes par lesquelles une sorcière peut être identifiée (Chesler 2005). Le fait que la plupart de ses possesseurs ne pouvaient pas lire le texte amplifiait peut-être la panique morale vis-à-vis des sorcières, puisque l'information était fondée sur des ouï-dires et des embellissements, et la mystification est l'un des instigateurs les plus efficaces de peur et de colère. Il s'en suivait une ambiguïté entourant les indices sur lesquels on pouvait s'appuyer pour identifier une sorcière, l'un de ces indices connus étant le «comportement bizarre», qui fait écho à l’ambiguïté des critères d'aujourd'hui concernant les troubles de la personnalité du DSM, qui encore une fois peuvent correspondre à quasiment n'importe quelle femme à partir du moment où quelqu'un à envie de la recadrer.

Après que l'épidémie de sorcellerie eut cessé, un tel manuel explicite détaillant les comportements inappropriés a cessé d'exister, mais la littérature romantique du dix-neuvième siècle joua un rôle similaire, avec ces distinctions nettes entre les «bonnes filles» – qui seront récompensées par un mariage heureux à un mari fidèle – et les «mauvaises filles», qui étaient folles dans leur transgression de la bienséance féminine – s'adonnant habituellement à la promiscuité sexuelle dans leurs rencontres et ne possédant pas les manières attendues chez une dame – et qui étaient condamnées à ne jamais être «heureuses». Encore une fois, une tendance émerge – dans les deux cas la femme déviante est coupable d'un crime social et la punition est inévitable : dans le premier cas elle est impliquée dans des relations avec le diable, méritant une exclusion probable ; dans le second cas, elle échoue à suivre le chemin prévu par la «nature» pour une femme, entraînant une angoisse mentale et une vie misérable. L’émergence de la gouvernementalité peut être observée par l'examen détaillé de la culture populaire.

5. Pop culture : propager la légitimité
 

Certain des artefacts les plus révélateurs du discours sont ceux qui émergent de la culture populaire. La représentation des femmes dans les films, la publicité, la télévision, la musique, la littérature, et d'autres médias de masse, raconte à chaque fois l'histoire des conceptions sociétales et des attitudes vis-à-vis des femmes à une époque et un lieu particuliers, et réaffirme ces valeurs par réflexivité. Ces médias et leurs messages sont très puissants, puisque tous les individu·es les consomment quotidiennement, que ce soit volontairement ou involontairement. Après l'inclusion du TPH, du TPD, et du TPB dans le DSM, des caricatures des nouveaux troubles, invariablement féminin, ont rapidement fait leur apparition dans divers domaines de la culture populaire. Trois d'entre eux seront examiné ici : les films et la télévision, la littérature de développement personnel ainsi que la littérature pour clinicien·nes, et enfin le plus récent développement de sites Internet.

a) Les films et la télévision

Les images de «femmes folles» ont depuis longtemps été un incontournable des descriptions dominantes de femmes. En observant le champs de l'expression artistique, on pourrait soutenir que tandis que les hommes deviennent célèbres pour un talent particulier – écriture, chant, philosophie, etc. – les femmes aussi talentueuses deviennent souvent célèbres en raison de «troubles mentaux», leurs compétences devenant une simple note de bas de page comparées à certains comportements «anormaux» et à des déviations vis-à-vis de la féminité hégémonique ; certaines des plus célèbres étant des femmes écrivaines et poétesses de la première moitié du vingtième siècle, dont Sylvia Plath, Anne Sexton, et Zelda Sayre. Depuis lors, avec l'essor des films et de la télévision, ces images ont été concrétisées et immortalisées par leur personnification dans des récits fictionnels dépeignant des femmes «folles».

Concernant spécifiquement ces trois troubles de la personnalité, bien que des éléments de chacun d'entre eux puissent être observés, la plupart des représentations – et certainement les représentations les plus reconnues – sont centrées sur le plus diagnostiqué des troubles – le trouble de la personnalité borderline. Débutant dans les années 80, les récits cinématographiques bien connus dépeignant la «femme borderline» – qui sont même cités comme des portraits réalistes par beaucoup de manuel de «psychologie de la personnalité» destinés aux étudiant·es de premier cycle – ont été Liaison fatale, JF partagerait appartement et Une vie volée. Sur le petit écran, la récente série à succès de HBO The Sopranos intègre aussi le TPB dans son intrigue.

La plus tristement célèbre représentation du TPB, et celle qui est la plus couramment citée comme un exemple réaliste du trouble dans les manuels mentionnés ci-dessus, est la performance de Glenn Close en tant qu'Alex Forrest dans le deuxième plus grand succès cinématographique des années 80 (Larsen et Buss 2005:618), Liaison fatale (Lyne 1987). Forrest est une femme puissante – non seulement elle est indépendante en raison d'une carrière lucrative dans le droit des entreprises, mais elle est aussi séduisante et célibataire. Elle entame une aventure avec un autre avocat, le père de famille Dan Gallagher, joué par Michael Douglas, après l'avoir rencontré à une conférence professionnelle qui coïncide commodément avec une période où sa femme et sa fille sont en déplacement. Tout au long du film, Gallagher est dépeint comme la victime malheureuse du pouvoir de séduction irrésistible et des capacités magistrales de manipulation de Forrest. La femme de Gallagher, une femme au foyer, sert de contrepoids à Forrest, la femme non mariée, la femme professionnelle qui est dépeinte comme dangereuse, prédatrice, et à la fin du film, diabolique. Il y a même plusieurs poubelles enflammées brûlant en permanence à l'extérieur de son immeuble. Après que les deux aient consommé leur relation, le caractère initialement compétent et indépendant de Forrest disparaît, et il est remplacé par une dépendance à Gallagher si forte qu'elle se tranche les poignets lorsqu'il tente de quitter son appartement après avoir fait l'amour – ceci se passant après que le couple illégitime se connaisse depuis deux jours.

Le reste du film décrit les tentatives sauvages de Forrest pour continuer une relation avec Gallagher et pour détruire sa famille nucléaire «parfaite» – elle feint d'être enceinte, téléphone à sa femme, et passe chercher sa fille à l'école. Inévitablement, la seule façon d'arrêter cette femme folle est de la tuer, ce que Gallagher et sa femme font ensemble dans la dernière scène, pleine de symbolisme, après que Forrest ne se soit introduite dans leur maison. Même si le TPB n'est pas mentionné explicitement dans le film, il est bien connu que le personnage de Close était censé représenter une personnalité instable et un comportement déjanté typiquement borderline. Le message du film semble être que les femmes indépendantes à qui il manque un mari désespèrent d'en trouver un, sont dangereuses, indignes de confiance, et souffrent probablement d'une maladie mentale. Ce thème devint extrêmement populaire pendant l'époque de Reagan, et constitue la base d'autres films populaires dans les années 80 et le début des années 90, comprenant Basic Instinct et JF partagerait appartement.

[…]

6. Femmes dangereuses dans la société néo-libérale : le pouvoir psychiatrique et le rétrécissement du spectre de la normalité
 

La discipline psychiatrique, et sa bible le DSM, ont obtenu le pouvoir et le privilège de définir ce qu'est la conduite humaine – et féminine – «normale», et quels autres comportements dévient vers le domaine de l'«anormal». Smith (1990) étudie les conséquences de ce système, estimant que des formes de savoir organisées et objectivées, telles que celles établies par la psychiatrie et contenues dans son recueil de «maladies mentales» sont centrales dans la perpétuation de relations de pouvoir dans les sociétés patriarcales contemporaines. La psychiatrie est tellement puissante que par sa simple utilisation du mot «trouble», toutes recherches portant sur le même phénomène par d'autres disciplines sont rendues triviales, discréditées, ou stoppées, entravant la possibilité d'une compréhension plus profonde, et limitant efficacement la pensée et le modelage de la pratique. Elle a utilisé son pouvoir pour pathologiser les comportements qui enfreignent les normes sociales, y compris les tentatives de défier les stéréotypes de genre, ainsi que les expressions de frustration, et les tentatives de résister à la subordination patriarcale. Expliquer des comportements «difficiles» ou «déviants» à l'aide du modèle médical, qui désigne la pathologie individuelle comme fautive – ici la «personnalité perturbée» – détourne toute attention du contexte social des relations de pouvoir genrées qui produisent probablement de tels comportements, une hypothèse qui sera examinée dans le dernier chapitre.

Chaque nouvelle édition du DSM définit un nombre croissant de troubles mentaux, à la fois représentant et imposant ce qui peut être appelé un «spectre rétrécit de la normalité» et qui a fini par envahir notre culture, ainsi qu'à porter atteinte à toutes les sphères de la vie humaine. La rapide extension de l'application de ce modèle aux enfants depuis les deux dernières décennies démontre l'étendue de son accomplissement autoritaire – un autre problème qui exemplifie ce «spectre» et qui demande une investigation critique. Tandis que le consumérisme nous offre l'illusion du choix et de la capacité à se «définir» soi-même de façon unique, la définition que donne la société du comportement acceptable et inacceptable est devenue, et continue à devenir, de plus en plus restreinte. L'efficacité demande l'uniformité, et alors que nous nous efforçons d'être normale·aux, nous «McDonaldisons» volontairement nos vies et nos individualités.

Alors que des normes sociales de comportement, que ce soit pour les femmes ou pour les hommes, ont existé dans les sociétés à travers différents lieux et époques, notre obsession à être «normale·aux» est un phénomène assez récent, une tendance qui a été mise à jour et analysée par des chercheuseurs, y compris Rimke, qui utilise le terme de «normopathie» pour contester l'idée qu'il serait normal de désirer, par-dessus tout, d'être «normal·e» (Rimke 2000). L'idée d'être normal·e n'a émergé que dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, à travers la première grande collecte de données démographiques de la population française, et de la définition de l'«homme moyen» par le statisticien Quetelet qui s'ensuivit, un spectre auquel il est possible de se mesurer pour déterminer sa normalité (Bierne 1987). Tandis que la psychiatrie se préoccupait à l'origine de l'hygiène publique et de la protection de la société contre la maladie, après l'émergence de l'individu «anormal·e», qui coïncidait avec la vaste extension de techniques et technologies disciplinaires, elle revendiqua rapidement le domaine de l'«anormalité».

Les prisons, les écoles, les asiles, les usines, et d'autres institutions sociales ont été de plus en plus concernées par l'efficacité, c'est pourquoi des techniques telles que la stricte réglementation du temps et la supervision panoptique ont été adoptées. Ces caractéristiques demandaient des sujets obéissant·es dont les corps pourraient, avec l’«entraînement» adéquat, être transformés avec succès en corps inconditionnellement dociles ; ainsi, les individus indociles ont rapidement été classé·es comme «anormale·aux», en se fondant sur le seul critère de leur incapacité à se conformer à des demandes institutionnelles (Foucault 1977). Une réaction négative à un environnement particulier avait maintenant sa cause localisée dans la pathologie individuelle, et se voyait décrite comme une anormalité, qui pouvait être «traitée» soit en soumettant la personne à des conditions encore plus rigides, soit à travers l'intervention psychiatrique. L'essor de la psychiatrie a donc été largement fondé sur la possibilité de son utilisation comme outil pour l'efficacité institutionnelle, alors qu'elle prétendait que son but était l'amélioration de la vie des individus. Tandis que progressait le vingtième siècle, l'importance de la normalité a continué à gagner du terrain, pénétrant toutes les sphères de discours, et devenant une qualité désirée par l'individu, initiant la gouvernance de soi décrite par Foucault dans son concept de gouvernementalité. Le monopole de la psychiatrie sur le traitement de l'anormalité a été solidifié tandis qu'elle est devenue une «science», et au travers de l’avènement du culte de l'amélioration de soi qui a accompagné les réformes néo-libérales des années 80, la portée de son influence a grandi jusqu'à atteindre la vie quotidienne et banale des individu·es. En effet, il est maintenant de plus en plus difficile d'éviter les offres du complexe psy, alors que d'incessantes publicités nous invitent à prendre des produits psycho-pharmaceutiques entre deux rendez-vous chez «Dr Pilule».

Le «test de personnalité», une rubrique présente depuis longtemps dans les magasines féminins, est une façon rapide et facile de déterminer si les habitudes, le style de vie et les relations de quelqu'un·e sont à la hauteur des standards de normalité, ou bien si un petit ajustement serait nécessaire, voire même un petit «traitement». Internet a donné à ces tests une autre ampleur, et de Pfizer, jusqu'aux personnes lambdas, en passant par les auteurices de développement personnel, tout le monde a développé des séries de questions que l'on peut utiliser pour s'auto-diagnostiquer. On peut voir cela comme une manifestation particulièrement extrême de gouvernementalité, puisque les individu·es évaluent volontairement leur vie et procèdent volontairement à des changements dans leurs comportements.

La tendance à la médicalisation d'aspects de plus en plus nombreux de la vie quotidienne et le rétrécissement des qualifications requises pour parvenir à être «normal·e» continue à se développer. Le DSM-V, quand il sera publié en 2012, va nommer une foule de troubles nouvellement «découverts» en plus de la redéfinition de ceux déjà établis dans leurs éditions antérieures, prolongeant l'influence de la psychiatrie et son intrusion dans les vies de plus en plus d'individu·es, et dépeignant de plus en plus les variations entre individu·es comme relevant de la folie. Les chercheuseurs ont proposé un nouveau modèle de «continuum» pour le DSM-V qui encore une fois multiplie exponentiellement le nombre d'individus qui risquent de recevoir un diagnostic de l'une ou l'autre formes de trouble de la personnalité. Dans ce nouveau prototype de diagnostic, la·e clinicien·ne pourra faire un «diagnostic dimensionnel» en utilisant une «échelle à 5 points» : 1) la description ne s'applique pas ; 2) la/le patient·e possède quelques caractéristiques de ce trouble ; 3) la/le patient·e possède des caractéristiques significatives de ce trouble ; 4) la/le patient·e souffre du trouble, le diagnostic s'applique ; et 5) la/le patient·e exemplifie ce trouble, cas prototypique». Ce modèle proposé est dérivé spécifiquement des difficultés rencontrées lors du diagnostic de TPB (Bradley et al. 2007:188-189). S'il est adopté, les diagnostics et les justifications de traitements ne seront plus limitées à celleux qui présentent «cinq ou plus» des symptômes énumérés sous la rubrique d'un trouble de la personnalité particulier.

 

7. Impasse conceptuelle : la question de l'abus
 

Daddy, daddy, you bastard, I’m through. (Plath 1962)

Tandis que la cause des trois «troubles mentaux» spécifiques examinés dans cet essai – et même celle de tous les «troubles mentaux» – est localisée dans l'esprit «troublé» de l'individu, les conditions sociales sont ignorées. Tout au long de l'histoire, un changement social positif a été encouragé par le mécontentement individuel et collectif, servant de motivation pour améliorer le monde social. En assignant le mécontentement au domaine de l'anormal, et en localisant sa source dans une pathologie individuelle, son potentiel à inspirer l'action est écrasé. En outre, cela isole les individus les un·es des autres et étouffe tout dialogue, puisque les «ennuis» de quelqu'un·e sont transformés en raison d'avoir honte, et en quelque chose à laquelle l'on doit remédier par soi-même, avec l'aide de l'«expertise» offerte par les sciences psy.

En revenant à nouveau au cas particulier des femmes, les éléments de la société qui perpétuent l'oppression des femmes dans son ensemble restent inexaminés, alors que les femmes sont individuellement blâmées pour leur incapacité à parvenir à la satisfaction. En rendant déviantes et en pathologisant des interprétations et des réactions individuelles à des conditions sociales, les mécanismes sociaux de subordination des femmes sont obscurcis, leur permettant de prédominer indéfiniment.

Une caractéristique majeure des trois TP discutés ici, particulièrement centrale dans le diagnostic de TPB, est l'«instabilité» – «[Elle] est censée manquer d'un moi stable, cohérent» (Wirth-Cauchon 2001:80). Notre société sournoisement moralisatrice – son jugement étant particulièrement sévère vis-à-vis des femmes, de leurs corps, et de leurs comportements – transforme le fait de maintenir une image de soi stable et confiante en un défi pour chaque femme. À chaque moment de la journée la publicité bombarde les femmes d'une myriade d'images d'autres femmes avec des corps, des visages, et des foyers parfaits, sans les prévenir qu'elles ne sont pas réalistes, mais relève d'un fantasme inatteignable.

À la puberté et à l'adolescence les filles apprennent qu'elles sont des êtres sexualisées, et l'objet constant de l'évaluation et de l'attention masculine (Becker 1997:159). Elles apprennent que cela sera toujours ainsi, quels que soient leurs autres accomplissements – être considérées comme physiquement attirante ou non continuera d'imprégner tous les aspects de la vie. Les femmes qui à juste titre sont sensibles à cet environnement, trouvant difficile d'être constamment sûre de soi tout en vivant dans un corps qui ne correspond pas aux images lisses des magasines, sont pathologisées – étiquetées comme malades en raison de leur réaction à ce paysage dénigrant. Tout examen de la «santé» d'une telle société est tu. La double contrainte émerge une fois encore, puisque l'un des critères du TPH est la «préoccupation pour l'attrait physique». Il semble plus que raisonnable dans ce cas de demander si toutes les femmes sur les pages de Vogue, les femmes de Sex and the city, et n'importe quelle femme se pavanant dans la rue dans des chaussures à trois cent dollars, ne souffrent pas d'un TPH, et n'auraient pas besoin d'une petite thérapie, d'un petit développement personnel, ou d'un petit Prozac.

Le psychanalyste Ross, réévaluant les séances de Freud avec Dora, sa patiente la plus célèbre, en conclue que ce cas si notoire d'«hystérie» était en fait un cas de TPB, mettant l'accent sur l'incapacité de Dora à parler de sa vie privée intérieure, et se concentrant au lieu de cela sur les actions et les opinions des gens autour d'elle (Wirth-Cauchon 2001:180). À travers la socialisation élémentaire, la société oblige les femmes à chercher l'approbation des autres et à utiliser cela comme base pour leur perception de leur succès dans la vie ; il semble qu'elles doivent rester particulièrement tranquilles pour éviter le risque d'être étiquetées comme «mentalement instables», et de recevoir un diagnostic de TPD ou d'un TPB.

La focalisation sur l'attrait physique et son utilisation comme indicateur d'adéquation imprègne même l'expérience d'une femme à l'intérieur de la psychiatrie. Dans ses recherches pour son projet sur le TPB, Wirth-Cauchon (2001:92) a examiné les dossiers psychiatriques de patientes qui avaient un diagnostic de TPB, observant la présence fréquente de descriptions détaillées de l'apparence physique de patientes borderline – les excentricités esthétiques ou l'apparence négligée étaient utilisées comme des preuves de TPB. Beaucoup de descriptions incluent également des références à la sexualité explicite de la patiente, décrite encore une fois comme un signe de «maladie». Une telle attention à l'apparence physique est rarement trouvée dans les notes des médecins concernant les patients hommes.

Plusieurs universitaires féministes (Becker 1997, Brown et Ballou 2002, Russell 1987) soutiennent que le TPB non seulement pathologise le fait de se conformer trop ou pas assez aux stéréotypes féminins, mais pathologise aussi le comportement qui constitue une réponse «normale» à l'oppression. «Le paradigme du stress» est souvent cité, affirmant que face à un manque de conseil et de soutien social, l'individu·e adopte des mécanismes d'adaptation qui sont symptomatiques des maladies mentales pour affronter des facteurs de stress graves résultant d'un traumatisme. Le DSM-IV définit le «traumatisme» comme une «[exposition à] un événement ou des événements qui impliquaient la mort ou le risque de mort ou de blessures graves, ou bien une menace vis à vis de l'intégrité physique de soi-même ou d'autres» (AAP 1994 cité par Becker 2000 : 425). Selon la définition même du DSM, le traumatisme est inévitablement vécu par toutes les femmes – prenant des formes diverses allant de la subtile mais constance objectivation décrite par la conception féministe foucaldienne du «regard masculin» (Owens 1985:71), au «regard volé», et jusqu'à l'acte de viol, plus violent et «socialement inacceptable» mais extrêmement répandu – dans une société ou l'abus des hommes envers les femmes est plus souvent félicité qu'il n'est puni. Ces TP peuvent donc constituer une réponse à deux différentes formes d'abus : 1) l'expérience universelle d'abus que les femmes subissent en vivant dans la société actuelle, ou 2) les cas individuels d'abus physiques, sexuels, émotionnels, ou autres.

Dans le premier cas, le traumatisme universel, et l'abus psychologique sont vécus par toutes les femmes, comme fonction de leur statut subordonné dans une société patriarcale. Certains traits de personnalité surgissent constamment parmi les membres de groupes subordonnés, particulièrement lorsque le rang est assigné à la naissance, comme c'est le cas pour le genre (Collins 1998:98). Ces traits qui émergent comme des techniques de survie pour des individu·es opprimé·es correspondent curieusement aux traits «féminins appropriés» discutés précédemment, ainsi qu'à des traits manifestés par des individus souffrant de TPH, de TPD et de TPB, tels qu'ils sont mis en avant dans le DSM. Leur formation suit un processus logique. En tentant d'exprimer leurs préoccupations et de résoudre des problèmes, les individus subordonné·es subissent la dépréciation de leurs idées alors jugées non crédibles ou sans importante. Si l'individu tente d'exprimer sa frustation à être ignoré·e, iel rencontre encore plus de dépréciation. En tant qu'être social, la/le subordonné·e adopte rapidement des comportements qui satisferont les dominateurs riches en ressources, devenant passive·if et perdant contact avec ses propres intérêts – on peut comprendre comment cela peut mener à des «difficultés à initier des projets ou à faire des choses par soi-même» (AAP 1994), à être hautement influençable (ibid), ou à traverser des «sentiments chroniques de vide», qui font partie des critères pour le TPD, le TPH, et le TPB, respectivement. Dans le même temps la/le subordonné·e internalise des messages voulant qu'iel soit moins important·e et moins valorisé·e que les dominateurs. Des débordements émotionnels occasionnels – comme la «rage borderline», ou la «dramatisation, la théâtralité et l'expression émotionnelle exagérée» de l'histrionique – compensent le manque de toute prise en compte constructive de l'insatisfaction (Collins 1998:100). Les individus subordoné·es présentent de la dépression, de l'anxiété, une émotivité augmentée, de la dépendance, un esprit préoccupé, une difficulté à éprouver du désaccord par peur du rejet, et une tendance à aller jusqu'à des extrêmes pour faire plaisir à d'autres – tout cela étant des symptômes d'au moins un des TP abordés ici.

En ce qui concerne la seconde catégorie de cas d'abus spécifiques et personnels, la corrélation entre le fait de recevoir un diagnostic de TP et le fait d'avoir subi un abus sexuel, physique ou émotionnel est indéniablement significative. La plus forte corrélation se situe entre le diagnostic de TPB et l'expérience antérieure d'abus sexuel – des statistiques de 1989 d'un échantillon de patient·es diagnostiqué·es comme souffrant d'un TPB a montré que 81% d'entre elleux ont subi un abus physique ou sexuel durant l'enfance (Herman et al. 1999 cité par Bradley et al. 2007). La majorité des individus diagnostiqué·es comme souffrant d'un TPB ont à un moment donné de leurs vies subi des abus sexuels. Il est cruellement ironique que l'expression de colère – comme celle de type soi-disant «intense» – des femmes qui ont été victimes d'abus sexuels soit utilisée comme preuve d'une pathologie individuelle, plutôt que d'une réponse «saine» ou «normale» au grave traumatisme associé à cette violation des plus intimes. Les feuilles de travail de Linehan issues du module «Tolérance à la souffrance» de son programme (voir l'appendice D) sont inquiétantes de part leur apparente promotion de l'élimination complète de l'expérience de la colère, même celle dirigée contre la «personne que l'on méprise ou déteste le plus», qui, si l'on en suit les forts taux d'abus sexuels, est probablement très souvent la personne qui a commis un acte abusif contre la patiente.

Les chercheuseurs soulignent le fait que, depuis la théorie psychanalytique freudienne jusqu'aux plus récentes «découvertes» du «syndrome de faux souvenirs», l'abus sexuel a une longue histoire de déni, de biais, et de culpabilisation de la victime, ce qui continue de dominer les attitudes de la société et de la psychiatrie vis-à-vis de ses victimes. Shaw et Proctor, parmi d'autres, défendent l'idée que le TPB est une «puissante manifestation de cette tendance a dénier l'étendu et l'impact de l'abus sexuel durant l'enfance» (Shaw et Proctor 2005:486). Le TPB, et les autres TP, font considérer les «symptômes» détaillés dans leurs critères comme étant en eux-mêmes des indicatifs d'un trouble, sans prise en compte de l'histoire individuelle, encore moins de l'histoire de la subordination ressentie par toutes les femmes. Bien sur, le traitement de ces derniers facteurs demande bien plus de temps, et est bien plus compliqué que de cocher des éléments sur la liste du DSM et de faire un diagnostic à l'emporte pièce, ce qui va à l'encontre du principe néo-libéral d'efficacité. Considérant que la durée moyenne d'un rendez-vous basique avec un psychiatre est de vingt minutes au mieux, agir de la sorte nuirait à l'efficacité, et donc aux profits, de l'industrie de santé mentale. Ainsi, les femmes sont individualisées et pathologisées pour leurs réponses à l'oppression, tandis que le contexte d'oppression reste inexaminé.

Conclusion

 

Dans la société occidentale d'aujourd'hui, la croyance voulant que l'oppression des femmes serait du passé est répandue, elle est promue dans des médias populaires tels que des chaînes de télévision de «newstainment » [contraction des termes anglais pour informations et divertissement] comme CNN, FoxNEWS, et MSNVC, qui vont sans aucun doute continuer à citer l’élection d'Hillary Clinton comme candidate à la présidence comme une preuve que les objectifs du féminisme ont été atteints, les hommes et les femmes étant véritablement égaux maintenant, et le(s) mouvement(s) n'ayant plus de raison d'être. Ainsi, le fait de rendre déviantes et de réguler les femmes constitue un exemple particulièrement saillant du pouvoir et de l'autorité largement inexaminées et inaperçues de la psychiatrie et plus largement des institutions psy, tellement enracinée que malgré qu'elle soit une des plus importantes institutions de régulation sociale, notre société et notre culture ne la voit pas comme un agent de régulation, mais suppose qu'elle est entièrement bienveillante, acceptant aveuglément ses affirmations floues comme des vérités factuelles, et comptant sur elle pour fournir à l'individu les clés de la satisfaction et du succès.

Tandis que, la réalité, soutenue par un énorme corpus de recherche, est que la psychiatrie est responsable du fait de continuer à punir les femmes qui désobéissent aux mêmes mœurs sexistes et patriarcales qui autrefois justifiaient de brûler les sorcières au nom de la «moralité», alors définie par les institutions religieuses. Les cas spécifiques du TPH, TPD, et TPB, présente une ressemblance particulièrement frappante avec les anciennes maladies mentales «féminines» telles que l'hystérie et la folie morale, mais ils ne sont qu'une infime partie des dommages causés aux femmes par tout ce qui est psy. Comme elles sont les principales cibles des diagnostics de «dépression», elles forment la majorité des consommatrices des «pilules miracles» prescrites sans relâche, très peu étudiées, dont l'absence de bénéfices statistiquement significatifs a été scientifiquement prouvée, et vendues par des publicités qui offrent la promesse d'un bonheur incomparable. L'essor de l'industrie du développement personnel, capitalise sans vergogne sur le désir humain d'éprouver du plaisir et sur l'échec de la société dans la production des conditions matérielles basiques et des libertés personnelles qui élimineraient le besoin de ce genre d'industrie.

Les «solutions» à la souffrance offertes par l'institution psy localisent la source des émotions désagréables dans une pathologie individuelle, ce qui manifeste des valeurs néo-libérales et les facilite, elles qui divertissent l'attention et l'énergie de nos conditions sociales, en écartant et obscurcissant leur rôle dans notre satisfaction ou notre désillusion émotionnelle, physique, et spirituelle. Suivant les principes des théories de la discipline et de la gouvernementalité de Foucault, notre adhérence spontanée à la régulation institutionnelle imposée par la psychiatrie est un signe que les citoyen·nes ont été rendu·es si dociles que le besoin d'un gouvernement, originairement crée pour combler le «besoin» de réguler un état-nation souverain et ses occupant·es, est en train d'être éliminé, non pas en raison d'une révolution ou de bouleversements, mais en raison de la défaite de l'individu. Les technologies institutionnelles de disciplines introduites il y a un siècle et demi ont été une telle réussite (Foucault 1977a), qu'en quelques générations les sujet·tes n'avaient plus besoin qu'on leur dise quoi faire, puisqu'iels obéissent maintenant volontairement aux organismes de régulations non-gouvernementaux. Les citoyen·nes modernes ne sont plus soumis·es aux maîtres du vieux monde, mais sont dirigé·es par des institutions qu'iels ont créé elleux-mêmes, pour leur propre bien-être – pourtant iels ne sont pas libres, mais plus régulé·es que jamais, et par une dernière cruelle ironie, la source de leurs difficultés se trouve effectivement en elleux, d'aucuns iront même jusqu'à dire que leur sort était déterminé à la naissance.

Cette illusion séduisante, qui à la fois nous dégage de la responsabilité de nos conditions de vies et hyper-responsabilise l'individu en localisant la souffrance dans le corps, est doublement trompeuse. Les savoirs psy continueront à être autoritaires et puissants, tant qu'ils offriront une lueur de faux espoir qui nous maintiendra efficacement sur cette voie.

Le phénomène que j'ai appelé Le rétrécissement du spectre de la normalité peut être perçu comme une preuve flagrante de la voie sur laquelle nous sommes engagé·es et de la vitesse croissante à laquelle nous avançons. Les institutions auxquelles nous nous fions aveuglement pour prendre soin de nous, pour nous soulager lorsque nous sommes tristes, et pour nous aider à accomplir notre potentiel individuel unique sont en train de systématiquement diminuer la variété de conduites et de choix de vies acceptables, et de médicaliser d'autres idiosyncrasies qui étaient encore valorisées il y a peu. Leur exil dans les cachots de l'anormalité sert à promouvoir un modèle de plus en plus étroit de la/du citoyen·ne idéal·e – efficace, productive·if, obéissant·e, discipliné·e, et dont toutes les crises existentielles sont atténuées par des produits psycho-pharmaceutiques.

Déjà marginalisés, les groupes vulnérables sont des cibles de choix. Dans cet essai les cas de psychiatrisation et de régulation sociale des femmes traditionnellement déviantes, ainsi que des femmes nouvellement incluses dans la catégorie après la «découverte» du TPD en 1980, ont été reliés à des tendances historiques similaires d'oppression des femmes, en utilisant la méthode généalogique, et les discours à la fois historiques et actuels ont été analysés pour révéler l'étendue de l'omniprésence des stéréotypes féminins fondés sur les troubles de la personnalité, et la propagation de ces caricatures par les médias de culture populaire.

 

[les Annexes, la bibliographie et les notes de l'autrice n'ont pas été traduites.]

 

Appendix A

DSM-IV Criteria for Borderline Personality Disorder

“a pervasive pattern of instability of interpersonal relationships, self-image and affects, as well as marked impulsivity, beginning by early adulthood and present in a variety of contexts A DSM diagnosis of BPD requires any five out of nine listed criteria to be present for a significant period of time”:

  1. Frantic efforts to avoid real or imagined abandonment. [Not including suicidal or self-mutilating behavior covered in Criterion 5]
  2. A pattern of unstable and intense interpersonal relationships characterized by alternating between extremes of idealization and devaluation.
  3. Identity disturbance: markedly and persistently unstable self-image or sense of self.
  4. Impulsivity in at least two areas that are potentially self-damaging (e.g., promiscuous sex, eating disorders, binge eating, substance abuse, reckless driving). [Again, not including suicidal or self-mutilating behavior covered in Criterion 5]
  5. Recurrent suicidal behavior, gestures, threats, or self-mutilating behavior such as cutting, interfering with the healing of scars (excoriation) or picking at oneself.
  6. Affective instability due to a marked reactivity of mood (e.g., intense episodic dysphoria, irritability, or anxiety usually lasting a few hours and only rarely more than a few days).
  7. Chronic feelings of emptiness, worthlessness.
  8. Inappropriate anger or difficulty controlling anger (e.g., frequent displays of temper, constant anger, recurrent physical fights).
  9. Transient, stress-related paranoid ideation, delusions or severe dissociative symptoms

Appendix B

DSM-IV Criteria for Histrionic Personality Disorder

“a pervasive pattern of excessive emotionality and attention seeking, beginning by early adulthood and present in a variety of contexts, as indicated by five (or more) of the following”:

  1. Is uncomfortable in situations in which he or she is not the center of attention
  2. Interaction with others is often characterized by inappropriate sexually seductive or provocative behaviour
  3. Displays rapidly shifting and shallow expression of emotions
  4. Consistently uses physical appearance to draw attention to self
  5. Has a style of speech that is excessively impressionistic and lacking in detail
  6. Shows self-dramatization, theatricality, and exaggerated expression of emotion
  7. Is suggestible, i.e., easily influenced by others or circumstances
  8. Considers relationships to be more intimate than they actually are.

Appendix C

DSM-IV Criteria for Dependent Personality Disorder

“a pervasive and excessive need to be taken care of that leads to submissive and clinging behavior and fears of separation, beginning by early adulthood and present in a variety of contexts, as indicated by five (or more) of the following”:

  1. Has difficulty making everyday decisions without an excessive amount of advice and reassurance from others
  2. Needs others to assume responsibility for most major areas of his or her life
  3. Has difficulty expressing disagreement with others because of fear of loss of support or approval (this does not include realistic fears of retribution)
  4. Has difficulty initiating projects or doing things on his or her own (because of a lack of self-confidence in judgment or abilities rather than a lack of motivation or energy)
  5. Goes to excessive lengths to obtain nurturance and support from others, to the point of volunteering to do things that are unpleasant
  6. Feels uncomfortable or helpless when alone because of exaggerated fears of being unable to care for himself or herself
  7. Urgently seeks another relationship as a source of care and support when a close relationship ends
  8. Is unrealistically preoccupied with fears of being left to take care of himself or herself

Appendix D:

A Sample of “Handout” Literature and Worksheets, and “Homework Sheets” from Linehan’s Skills Training Manual for Treating Borderline Personality Disorder, with examples from all four of the “modules” covered in the course of therapy: “Core Mindfulness”, “Distress Tolerance”, “Emotion Regulation”, and “Interpersonal Effectiveness” (Linehan 1993)

Appendix E: Google Search Results and Statistics

Search term: “personality disorders help”

Link: http://www.google.com/search?client=safari&rls=enus&q=personality+disorders+help&ie=UTF-8&oe=UTF-8

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Sites by Topic

Sites Devoted to Personality Disorders in General: 14

Sites Devoted to Borderline Personality Disorder: 14

Sites Devoted to “Cluster B” Personality Disorders: 1

Sites Devoted Other Personality Disorders: 1 (Narcissistic)

Site Hosts by Type

General Medicine (e.g. “Mayo Clinic”): 7

General Psychology, Psy-“Experts”: (e.g. “All Psych”): 13

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Independent “Lay Persons”(e.g. “4degreez”): 4

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  •  

[1] Western culture, and most extremely American culture, which will be discussed in detail in chapter four when examining the case of rhetoric regarding “good versus evil”, is infused with binary logic.  The term “binary”, conceptualized by Derrida (Derrida 1978:194), refers to a rhetorical accomplishment achieved by defining two concepts in terms of their opposition to one another, effectively constraining thought and discourse by failing to acknowledge that conditions that defy the binary exist.

[2] In his conceptualization of genealogy, among other projects, Foucault makes the distinction of not defining “power” or “control” as inherently “good” or “bad”, but examines who possesses power, how they use it, and what the results are (see Elden 2006, Foucault 1977a).

[3] The meaning of this adjective, “hysterical”, when it came into common usage in the seventeenth century, is quite ambiguous; a better understanding of it would require extensive archival research and a rigorous examination of remaining texts from that period.

[4] Interestingly, frequent masturbation, as well as the enjoyment of the act, was yet another behaviour that was attributed to hysteria by psychoanalysts (see Freud 1905).

[5] Psychocentrism refers to a culture characterized by an obsession with the self – as the locus of all one’s woes, but also the sole vehicle by which the individual may realize his ideal life and achieve “contentment”.  Psychocentrism is an asset to governers in neo-liberal societies, as it creates self-regulating citizens.  The government does not have to expend as many resources to mould people into model citizens, as people do this voluntarily, based largely on the “expertise” offered by members of the psy-establishment (Rimke 2000:73).

 

                                                          ★ ★ ★

L'autrice, aujourd'hui décédée (Rest In Pride), était d'accord pour que cette thèse soit utilisée dans d'autres travaux de recherche. Cependant, elle tenait à ce que l'on s'assure de citer son travail en utilisant la notation (Reimer: 2009).

Traduit de l'anglais. Cette traduction est participative et D.I.Y., toute personne peut proposer des améliorations, cette version est donc en permanence susceptible d'être modifiée. 

 

Source : www.practiceofmadness.com

 

Le texte en entier et en anglais : http://www.practiceofmadness.com/crazy-psychiatric-discourse-dsm-personality-disorders-social-regulation-subversive-women/

 

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