Ce que la mode des hand spinners révèle à propos des discriminations fondées sur le handicap

Aiyana Bailin

20/05/2017

Je suis en colère contre la popularité soudaine des hand spinners, mais sans doute pas pour les raisons que vous imaginez. Je ne suis pas fâchée qu'ils dérangent en classe ni qu'ils soient insupportablement tendance. Je suis furieuse en raison de ce que cela révèle des structures de pouvoir et de la pathologisation des personnes handicapées par les personnes non handicapées.

Les personnes autistes (et autres personnes avec des handicaps de développement) sont en guerre depuis des décennies. Une guerre contre le fait d'être conditionné.es de force, souvent brutalement, à se comporter davantage comme les neurotypiques, quelles qu'en soient les conséquences pour notre propre confort, sécurité ou santé mentale. Ceux et celles d'entre nous qui avons besoin d'autostimulation pour nous concentrer (souvent en adoptant des comportements brefs et répétitifs comme, je ne sais pas, faire tourner un objet dans nos mains), ont enduré des décennies de protocole des «mains tranquilles», de se faire envoyé.e dans le bureau du directeur ou de la directrice parce qu'on gigote trop, de se voir ordonné.e: «laisse ça/arrête ça et concentre toi!», alors qu'en réalité nous faisons précisément la chose qui nous permet de nous concentrer, au lieu d'être terriblement distrait.e par un million de choses inconfortables comme le grésillement des lumières ou nos vêtements qui gratouillent. Nous avons eu nos mains giflées et nos objets réconfortants confisqués. On nous a obligé.es à nous asseoir sur nos mains. Nous avons été attaché.es. Oui, des enfants handicapé.es se font attacher - physiquement attacher – en classe et dans des séances psys et dans de multiples autres cadres alors qu'ils et elles font quelque chose qui est aujourd'hui incroyablement à la mode.

Réfléchissez-y: des décennies de punition émotionnelle, de violence physique et autres abus. Et un beau jour un gars (qui se trouve être dans une position avec plus d'influence sociale que la plupart des personnes handicapées n'auront jamais) écrit un article pour raconter comment avoir un hand spinner l'aide à se concentrer lors de réunions, et tout à coup toutes les personnes Neurotypiques d'Amérique se ruent pour acheter leur propre hand spinner. La première fois que j'ai entendu parler de cette tendance, je ne savais pas si je devais rire ou pleurer. Mais je tendais plutôt vers «pleurer» pour les raisons que je viens d'expliquer et parce que l'ironie de la situation me donnait la nausée. Parfois l'univers à un sens de l'humour cruel.

C'est vraiment très important. Très important, donc lisez et relisez bien cette prochaine phrase: Quelque chose qui a été considéré comme complètement pathologique et nécessitant une correction radicale si c'était fait par une personne handicapée est désormais complètement acceptable parce que c'est fait par des personnes non handicapées. Ça devrait vous faire réfléchir à deux fois, surtout si vous êtes une personne qui travaille avec, éduque, ou fait de la recherche concernant des personnes avec des diagnostics comme l'autisme.

Qu'est-ce qu'on pourrait dé-pathologiser du jour au lendemain si les «bonnes» personnes, les personnes «normales» , les personnes «saines» commençaient à le faire? Est-ce que quelqu'un.e va écrire un tweet qui rends socialement acceptable d'éviter le contact visuel avec les gens? Est-ce qu'un post facebook va rendre à la mode le fait d'être sensible à différentes textures? Est-ce que le fait de battre ses mains va devenir cool si ça se retrouve dans un clip vidéo?

La normalité est une illusion. Ça n'existe pas. La culture humaine change en permanence et nos comportements quotidiens avec, plus que jamais dans cette ère digitale où tout va très vite (oui je suis assez âgée pour me souvenir de comment c'était quand on ne pouvait pas emmener un téléphone partout avec soi, et croyez-moi les normes sociales étaient très différentes). Même si la «normalité» existe, la poser comme le but vers lequel les personnes handicapées devraient tendre est inacceptable.

Parce qu'insister pour que les personnes handicapées se comportent davantage comme des personnes non handicapées n'a rien avoir avec une volonté d'améliorer la fonctionnalité, il s'agit de qui a le pouvoir d'imposer des normes sociales. C'est pourquoi certains accents et dialectes sont considérés comme «moins éduqués» et les personnes qui parlent de cette manière sont mises de côté. C'est pourquoi les personnes avec tel teint de peau sont représentées comme étant moins capables, ou plus dangereuses que les personnes avec le teint de peau de la majorité. C'est pourquoi les «professions féminisées» sont dévaluées et sous-payées. Bref, c'est de l’oppression ni plus ni moins.

Je devrais peut-être être plus optimiste. Peut-être que nous allons vers une ère d'acceptation. Même avant que la mode des hand spinners n'apparaisse, de plus en plus de professionnels ont admis que certains besoins sensoriels étaient réels et devraient être pris en compte. De nombreux sites internet vendent des jouets à mâchouiller, des magasins d'applications sont pleins d'applications de relaxation, et beaucoup de programmes de «traitement» de l'autisme (certainement pas tous) s'éloignent de leur préoccupation précédente de faire s’asseoir calmement les personnes, tout en acceptant peu à peu que l'autostimulation est un comportement complètement sain pour les personnes autistes.

Mais cette structure de pouvoir existe toujours. Il y a encore une hiérarchie rigide concernant qui décide quels comportements sont normaux ou pathologiques. Il y a encore un sous-titre sociétal qui dit aux personnes différentes «sois moins toi-même et plus comme nous». Il faut qu'on change ça.

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