Les Personnes Folles Racisées – un Manifeste
Par Rachel Gorman, Annu Saini, Louise Tam, Onyinyechukwu Udegbe et Onar Usar. (2013).
Nous sommes un groupe de personnes racisées queers et folles qui faisons l'expérience du "système psy" de différentes façons – parfois en tant que survivant·es, patient·es , ex-patient·es, ou détenu·es du système psychiatrique raciste, sexiste et oppressif, et parfois à travers les interventions racistes, sexistes et oppressives des docteur·es, des professeur·es, des travailleuses et travailleurs sociaux, des membres de la communauté, ou de la police.
Nous écrivons ce manifeste parce que nous savons que le racisme, le sexisme et l’oppression qui traverse le système traversent aussi le mouvement fou [mad movement].
À travers les années nous, comme d'autres personnes folles racisées*, avons été dans les espaces du mouvement fou – parfois en tant qu'organisateurices et parfois en tant que participant·es. Nous avons été présent·es, audibles et visibles – mettant en avant nos préoccupations sur le racisme, sur notre statut légal précaire, sur les expériences des immigré·es de classe populaire et sur les façons subtiles et violentes par lesquelles les personnes racisées sont psychiatrisées.
Pourtant à chaque fois que nous parlons ou écrivons ces vérités, nos perspectives sont rejetées ou déformées par des gens qui veulent que le mouvement fou soit blanc et de classe moyenne.
Nous avons été accusé·es d'attaquer les personnes blanches lorsque nous avons exprimé nos opinions. Nous avons été qualifié·es de "sanistes"* pour avoir parlé de racisme dans le mouvement fou. Comment est-il possible que l'on soit saniste* lorsque l'on critique des personnes blanches pour leur racisme, mais que les personnes blanches ne soient pas sanistes* lorsqu'elles nous qualifient de colériques et irrationnel·les? Dites-nous, est-ce que le sanisme* est quelque chose que seules les personnes blanches subissent?
Nous ne croyons pas en une oppression vécue uniquement par les personnes blanches.
Audre Lorde nous a appris que lorsque les personnes blanches ne se confrontent pas à leur propre racisme, elles accusent les personnes racisées "d'être en colère". Nous savons pourquoi nous sommes en colère. Le racisme, le sexisme et l’oppression de classe nous mettent en colère. Nous savons pourquoi les gens nous reprochent d'être en colère. La culpabilité, le sentiment que tout vous est dû [''entitlement'' en anglais] et un refus de travailler avec nous nourrissent vos attaques.
Les activistes blanc·hes du mouvement fou nous disent que nous sommes responsables de notre propre exclusion. Nous ne voulons pas être "inclus·es" dans un mouvement blanc: nous voulons que vous assumiez la responsabilité du fait de continuer à rendre votre mouvement blanc. Le mouvement fou présente une identité folle fondée sur les expériences des personnes blanches et les théories des personnes blanches. Dites-nous, est-ce que la folie est quelque chose que seul·es les blanc·hes vivent?
Nous savons que:
Nous sommes les expert·es de nos propres histoires et expériences. Nous communiquons entre nous. Nous lisons les théoricien·nes africain·es et les théoricien·nes racisées. Nous partageons nos différents vécus transnationaux. Nous parlons du fait de survivre dans plusieurs contextes culturels.
Nous ne pouvons pas séparer nos expériences de racialisation, de folie et d'autres oppressions.
Les expériences des blanc·hes face à la psychiatrie ne sont pas "comme le colonialisme".
La race et le handicap sont soudainement devenus une mode universitaire pour personnes blanches.
Nous demandons :
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Arrêtez de nous demander de vous éduquer sur le racisme, pour ensuite nous ignorer ou nous contredire lorsque nous le faisons.
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Arrêtez de baser vos idées sur une identité folle collective en vous fondant sur la culture dominante.
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Arrêtez de présenter le mouvement fou comme une culture qui devrait être célébrée comme partie prenante du multiculturalisme du Canada.
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Arrêtez de dire des choses comme «même les personnes en prison sont mieux traitées que nous». Certain·es d'entre nous vivent les deux.
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Faites de la formation à l'antiracisme et l'anti-oppression une priorité, particulièrement pour les organisations d'usager·es/survivant·es. Si vous voulez que nous vous éduquions, payez-nous.
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Reconnaissez votre racisme et faites en sorte d'y mettre fin.
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Demandez-vous si votre but en tant qu'activiste fol est de regagner les privilèges de blanc·hes de classe moyenne que vous avez perdus lorsque vous avez été psychiatrisé·es.
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Posez des questions sincères, et écoutez ensuite les réponses. Si vous vous demandez si la psychiatrie est comparable à la colonisation, demandez-le à quelqu'un·e qui a vécu les deux! Si vous voulez savoir si la prison est pire que l'hôpital, demander à quelqu'un·e qui a vécu les deux!
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Arrêter de prétendre que vous n'avez jamais entendu ces critiques avant. Arrêter de prétendre que notre travail n'a pas d'importance. Arrêter de prétendre que vous n'avez jamais entendu parler de nous. Arrêter de prétendre que nous n'existons pas.
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Arrêter de vous approprier les luttes antiracistes.1
1 Très récemment, cela s'est produit à New York, lorsque des activistes fols ont utilisé la journée de Martin Luther King, et ses écrits sur l'inadaptation créative, pour protester contre le recensement en santé mentale. Ils ont fait cela sans connecter sa critique de la psychologie aux luttes contre le racisme anti-noir·es.
* NDT: L'expression originale en anglais est "people of color" qui a été traduit ici par "personnes racisées" et non par "personnes de couleur" qui en français n'a pas la même portée historique et politique que le terme anglais. En français l'adjectif "racisé·e" est plus communément employé dans les milieux militant pour qualifier les personnes subissant le racisme systémique.
** NDT: le "sanisme", en anglais "sanism", de ''sane'' qui signifie ''sain·e d'esprit'', désigne l'oppression subie par celleux qui ont reçu un diagnostic psychiatrique et/ou qui sont perçu·es comme "malades mental·es''. C'est plus ou moins l'équivalent du terme ''psychophobie'' ou ''psyvalidisme" qu'on trouve en français. "Saniste" est donc le qualificatif donné à celleux qui exercent cette oppression (le sanisme/psychophobie). Plus d'info sur ce concept ici
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Reçu par mail.
Traduit de l'anglais. Cette traduction est participative et D.I.Y., toute personne peut proposer des améliorations en nous contactant, cette version est donc en permanence susceptible d'être modifiée.
Pour lire le texte en anglais sur le site d'Asylum: asylummagazine.org/2013/12/mad-people-of-color-a-manifesto-by-rachel-gorman-annu-saini-louise-tam-onyinyechukwu-udegbe-onar-usar/
Description de l'image: Les mots "WE EXIST" ("NOUS EXISTONS") sont écrits en lettres capitales grises sur un fond entièrement noir.