La nécessité d'un syndicat de patient·es en psychiatrie

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La nécessité d'un syndicat de patient·es en psychiatrie

«Publié à l'origine en 1974, ce document aujourd'hui rare, également connu sous le nom de "The Fish Pamphlet", est considéré par certain·es comme marquant le début de l'organisation du "mouvement des survivant·es" en Grande-Bretagne. Ce document revêt donc une grande importance historique et politique. Selon le folklore, l'activisme des survivant·es était à l'époque particulièrement fort dans l'ouest de Londres, où un réseau de squats avait été créé pour fournir des "abris sûrs" aux personnes en détresse psychologique. Le syndicat des patient·es en psychiatrie a évolué au cours des années 1970 pour devenir PROMPT (People for the Rights of Mental Patients in Treatment) [organisation pour les droits des patient·es en psychiatrie sous traitement], qui s'est finalement transformé en CAPO (Campaign Against Psychiatric Oppression) [Campagne contre l'oppression psychiatrique] au début des années 1980. CAPO a ensuite publié un manifeste fondateur qui est encore considéré par beaucoup comme une source d'inspiration; ici il s'agit du document original du Mental Patient Union, qui est antérieur au manifeste de CAPO et qui a servi de modèle pour celui-ci. Bien que certains des contenus suivants et du langage utilisé puissent sembler désuets, il est opportun de rappeler les origines du "mouvement des survivant·es" et d'en établir le contexte de la façon la plus complète possible.» Intro par Mad Pride UK

 

 

Eric Irwin, Lesley Mitchell, Liz Durkin, Brian Douieb
 

"Un individu ayant des difficultés particulières à faire face à son environnement se débat et remue la poussière, pour ainsi dire. J'ai utilisé la figure d'un poisson pris à l'hameçon: ses mouvements doivent sembler étranges aux autres poissons qui ne comprennent pas la situation; mais ses remous ne sont pas ce qui l'affecte, ils sont ses efforts pour se débarrasser de ce qui l'affecte et comme tout pêcheur le sait, ces efforts peuvent réussir." - Karl Mennenger.

Au cours des dernières années, un certain nombre de groupes se sont formés contre les institutions réactionnaires de la psychiatrie et de ces hôpitaux. Ignorant l'engagement des patient·es, l'élan pour des alternatives radicales de ces groupes s'est cependant transformé en simples sujets de discussions intellectuelles et ateliers de débats pour étudiant·es et professionnel·les. Les PATIENT·ES, semble-t-il, sont considéré·es comme incapables de jouer un rôle quelconque dans la lutte pour ces alternatives.

Se faisant presque complices du mythe selon lequel les patient·es en psychiatrie seraient "inadapté·es", ces groupes ont complètement rejeté le fait qu'à l'intérieur de l'hôpital psychiatrique, les patient·es, dont la plupart sont de la classe ouvrière, ainsi que le personnel hospitalier et les infirmier·es, sont les seuls agent·es du changement révolutionnaire.

Le Paddington Day Hospital Protest a été jusqu'à présent le seul exemple du pouvoir concret des patient·es dans ce pays. Mais ce pouvoir ne visait que la seule question du maintien de l'hôpital et, en raison de son succès limité, il s'est effondré sans utiliser son potentiel politique.

NOUS croyons fermement que le POUVOIR DES PATIENT·ES pourrait être mobilisée efficacement contre les psychiatres et les hôpitaux psychiatriques, agent et organe de la classe dirigeante, à travers un SYNDICAT DES PATIENT·ES EN PSYCHIATRIE politiquement organisée.

Pourquoi un syndicat est-il nécessaire?

La psychiatrie est l'une des méthodes les plus subtiles de répression dans la société capitaliste avancée. À cause de cette subtilité, peu de gens reconnaissent les dangers masqués par la mystification de la "médecine moderne". Le psychiatre est devenu le Grand Prêtre de la société technologique, exorcisant les "démons" de la détresse sociale par la lobotomie (la boucherie du cerveau), les électrochocs – ECT (cerveaux branchés sur secteur) et l'usage intensif de médicaments qui restreignent la pensée. Les patient·es en psychiatrie sont les sacrifices humains que nous faisons tandis que nous continuons à servir les Dieux de la Religion Capitaliste.


L'artillerie lourde de la psychiatrie, comme beaucoup d'autres, est pointée sur la tête la classe ouvrière afin de la contrôler. Les faits montrent que proportionnellement davantage d'admissions dans les hôpitaux psychiatriques proviennent des zones de pauvreté, de logements insalubres, de chômage élevé et d'industrie lourde – EN BREF, DES ZONES DE LA CLASSE OUVRIÈRE. Les souffrances infligées à la classe ouvrière par l'extrême pauvreté matérielle, la répression sociale, la frustration au foyer et au travail, etc. ont évidemment tendance à provoquer l'anxiété, la dépression et parfois des délires comme forme d'évasion.

 

La classe ouvrière et la maladie mentale

Dans notre société de classes, les travailleurs et travailleuses sont traité·es comme de simples unités de production plutôt que comme des êtres humains avec des sentiments. Les travailleuses et travailleurs manuel·les sont parfois forcé·es de réagir en tant qu'individus contre l'ennui, la stérilité et l'esclavage virtuel de leur fonction professionnelle au sein du capitalisme, demeurant apathiques et inconscient·es de leur rôle d'agents du changement social. Aliéné de son travail, appendice de machines de production de masse, ou producteur sans but de produits socialement inutiles, piégé dans le rôle de pourvoyeur de revenus entre la famille et le travail, il n'est pas surprenant que l'homme qui a travaillé sur une chaîne de production pendant 20 ans puisse devenir de plus en plus déprimé et finalement se considérer comme une "machine" ou puisse devenir tellement détaché de la réalité de son existence refoulée qu'il se met à vivre, parler et penser dans un imaginaire apparent. À ce stade, il est dirigé vers les urgences où un·e médecin de service pourra l'étiqueter commodément comme "malade mental" et le référer à un·e psychiatre. Mais les psychiatres ignorent les causes sociales et économiques des "symptômes apparents", car en reconnaître l'importance nuirait aux ambitions de la psychiatrie qui prétend localiser l'"altération", l'"irrationalité", ou la "maladie" dans l'individu. La profession médicale, par le biais de la psychiatrie, est donc de connivence avec le système de profit.


De la même façon, les FEMMES de la classe ouvrière sont sujettes à cette folie forcée. Non seulement certaines femmes souffrent des mêmes conditions de travail que les travailleurs manuels masculins, souvent pour un salaire inférieur, mais on attend d'elles qu'elles servent d'esclaves [elles sont exploitées, pas esclavagisées] à leurs enfants et à leurs maris. Le rôle traditionnel de la femme est celui de "femme au foyer", mais contrainte par le faible revenu de son mari, ou sans soutien, voire pourchassée par les services sociaux, elle peut se retrouver obligée d'aller travailler à l'extérieur. Elle peut aussi être forcée de travailler pour échapper à son appartement HLM isolé et éloigné au quinzième étage ou aux conditions de vie dans des chambres louées au mois. Beaucoup de femmes prises dans ce double rôle se sentent coupables de leur apparente inadéquation à la vie de foyer, devenant dépressives et incapables d'y faire face. Stigmatisées par la famille, l'école, les visiteurs et visiteuses de santé et les travailleurs et travailleuses sociales, elles se retrouvent rapidement dirigées vers la médecine moderne en tant que cas à traiter!

Une autre voie vers la "maladie mentale" peut être le CHÔMAGE. Quand les travailleurs et travailleuses ne sont plus utiles à l'économie capitaliste (c'est-à-dire que leur valeur de travail est perdue), ils et elles sont jeté·es sur un tas de ferraille humaine comme des pièces de machines inutiles. Le chômage profite directement au capitalisme, car il décourage l'action syndicale pour de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires, tout en MAINTENANT DES BÉNÉFICES ÉLEVÉS POUR LE PLUS GRAND BONHEUR DES GRANDES ENTREPRISES. Pendant ce temps, l’État protège commodément le système en imputant le chômage à l'inflation des salaires, mais se retrouve avec la responsabilité de contenir la colère des syndicats face au nombre croissant de chômeurs et chômeuses. Par conséquent, le système colle rapidement les étiquettes de "feignant·e" et d'"inadapté·e" à une proportion aléatoire de chômeurs et chômeuses à travers ses médias de propagande – cependant, cette méthode ne suffit plus à duper les sections les plus organisées de la classe ouvrière. Mais dans le même temps, une méthode tout aussi efficace pour stigmatiser subtilement le travailleur et la travailleuse (devenu·e un·e "déviant·e" parce qu'il ou elle ne travaille pas) est de plus en plus utilisée: il ou elle est étiqueté·e "malade mental·e". Ce n'est pas difficile à faire, car à ce stade, le chômeur ou la chômeuse commence à sentir la morsure, car il ou elle ne remplit pas son rôle de pourvoyeurs ou pourvoyeuse de famille et les pressions familiales augmentent. Il ou elle se sent également frustré·e de ne pas trouver d'emploi et d'être humilié·e et victimisé·e au moment de réclamer la sécurité sociale. Cependant, l'immédiateté des besoins familiaux rendent difficile de subvenir à la baisse du niveau de vie et il ou elle se retrouve blâmé·e pour les difficultés familiales à la place du système. Il ou elle devient ainsi le bouc émissaire de l'économie capitaliste qui a délibérément créé le réservoir à chômage dans lequel il ou elle est tombé·e. Écrasé·e sous des pressions accumulées, il ou elle devient déprimé·e, désabusé·e et désœuvré·e. Le psychiatre fait le reste!

La menace de la déviance de la classe moyenne par rapport au statu quo

 

La classe moyenne n'est pas à l'abri de dégringoler du système. En tant que gestionnaires, administrateur·ices et apologistes du capitalisme, la classe moyenne est obligée de s'en remettre à l'idéologie de ses maîtres, la classe dominante des barons de l'argent. Afin de préserver son statut, la sécurité de ses privilèges économiques et la distinction ténue entre elle et la classe ouvrière, la classe moyenne doit maintenir des valeurs réactionnaires. Les membres de la classe moyenne qui enfreignent, rejettent ou sont incapables de s'adapter aux valeurs de l'individualisme aliéné (la sordide mentalité privée), de la compétitivité et de la "course au succès" sont considéré·es comme une menace pour les valeurs de classe et donc pour la position de classe. Les "déviant·es" exprimant leur évasion ou leur attaque des valeurs de classe par la "dépression", la "psychose" ou le "trouble de la personnalité" et ayant été ainsi étiqueté·es, viennent alimenter le nombre des cas opportunément traités par la psychiatrie.

Confronté·e à la psychiatrie, le ou la patient·e, quelle que soit sa classe sociale, est propulsé·e dans la relation de l'ouvrier·e face à la classe dirigeante. Les psychiatres, agents des capitalistes, ennemi·es du changement, trompent le ou la patient·e en lui faisant croire que c'est lui/elle qui doit changer.

 

Tout comme les pauvres sont blâmé·es pour leur pauvreté, les chômeurs et chômeuses pour leur oisiveté, les habitant·es de baraques de fortune pour leurs conditions de logement et les écolier·es "attardé·es" pour leur "attardement", le ou la patient·e est blâmé·e pour sa "maladie". IL EST TEMPS QUE LES PATIENT·ES SE DÉFENDENT!

Avec d'autres groupes opprimés, les patient·es, par le biais de l'organisation d'un SYNDICAT DES PATIENT·ES EN PSYCHIATRIE, doivent entreprendre des ACTIONS COLLECTIVES et prendre conscience de leur POUVOIR dans la LUTTE DES CLASSES, aux côtés des syndicats, de la libération des femmes, des groupes de Black Panthers, des droits des prisonnier·es etc...

Que peut faire un syndicat?

 

1. Propagande. En distribuant des tracts dans les hôpitaux psychiatriques, les centres de jour, les foyers, les centres thérapeutiques industriels, etc.

(A) dénoncer:

- le mythe du traitement et de l'hospitalisation volontaire.

- le mythe du traitement et la façon dont il est utilisé pour punir la "déviance".

- le mythe des soins communautaires. Comment les travailleurs et travailleuses sociales agissent comme agents de contrôle et comment la thérapie industrielle est une source de main-d'œuvre bon marché.

- le mythe de la réhabilitation. Comment il s'agit d'un processus qui assure l'ajustement et la conformité au système.

- le mythe de la psychothérapie, qui peut agir comme une forme subtile de contrôle.
 

(B) informer les patient·es de leurs droits, aussi minimes soient-ils, par exemple le droit de faire appel contre la détention sous contrainte.

2. Établir une charte des droits.

- le droit d'être représenté·e par le Syndicat des patient·es en psychiatrie devant les tribunaux et partout où la loi de 1959 sur la santé mentale est appliquée (par exemple, en cas d'admissions à l'hôpital) et partout où le/la patient·e le demande (par exemple, pendant un entretien à l'hôpital).

- le droit à un second avis libre par un·e psychiatre choisi·e par le/la patient·e ou son/sa représentant·e syndical·e.

- le droit de refuser un traitement.

- le droit de garder ses vêtements à l'hôpital.

- le droit à un système d'appel efficace.

- le droit de garder ses effets personnels à l'hôpital sans ingérence du personnel hospitalier.

- le droit à une inspection efficace des conditions hospitalières, de la nourriture, de l'hygiène, etc. indépendante de l'administration hospitalière.

- le droit des patient·es à des visites.

3. Lutter et faire campagne pour:

- l'abolition des hospitalisations sous contrainte, par exemple les articles 25, 26, 29, 30, 60 et 136 de la loi de 1959 sur la santé mentale.

- l'abolition de la pratique de l'isolement – isolement dans des pièces verrouillées, des cellules capitonnées, etc.

- l'abolition de l'obligation des traitements médicamenteux, des thérapies de groupe, etc.; l'abolition totale des formes irréversibles de traitements, électrochocs, chirurgie cérébrale, certains médicaments spécifiques, etc.

- l'abolition du travail obligatoire à l'hôpital et à l'extérieur.

- l'abolition de la censure des lettres et des appels téléphoniques.

- l'abolition du droit des autorités hospitalières à retenir et contrôler l'argent de poche des patient·es.

- l'abolition à terme des hôpitaux psychiatriques et de l'institution répressive et manipulatrice qu'est la psychiatrie.

4. Mettre en place des alternatives.

Par exemple, des centres d'accueil/résidentiels, contrôlés par les patient·es, fonctionnant en refuges – sans "traitement" ni "hiérarchies".

 

Comment le syndicat des patient·es en psychiatrie sera-t-il organisé?

 

Le syndicat ne sera organisé et contrôlé que par des patient·es et ex-patient·es en psychiatrie. L'adhésion syndicale et le droit de vote seront limités aux seul·es patient·es. Le syndicat doit être dirigé démocratiquement par un groupe de travail efficace, élu et soumis au droit de révocation. L'aide extérieure sera plus que bienvenue, mais elle ne comportera qu'une qualité de membre associé·e sans droit de vote.

Malheureusement, il y a de nombreux aspects du problème de la répression psychiatrique que nous n'avons pas abordés. Comme notre pamphlet n'est pas tout à fait adéquat, nous ne pouvons qu'espérer que l'une des fonctions du syndicat sera d'examiner de plus près la situation et de produire ses propres pamphlets, etc.


Entre-temps, notre brève analyse sera peut-être utile pour la mise en place du syndicat.
 

Quoi qu'il en soit, le moment d'agir est VENU – il y a trop de poissons pris à l'hameçon.

 

★★★

Source: madpride.org.uk

Traduit de l'anglais. Cette traduction est participative et D.I.Y., toute personne peut proposer des améliorations, cette version est donc susceptible d'être modifiée.

Description de l'image: Couverture vieillie du pamphlet, avec titre, illustration et citation qui explicite le choix d'illustration. Le dessin représente un poisson qui se débat, pris à un hameçon.

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