RECOVERY IN THE BIN !
Elisa J.
Le pays au monde qui a le plus fort taux de rétablissement des personnes ayant un diagnostique de schizophrénie est le Sri Lanka1. Lors des études que l’OMS a faite durant plus de 20 ans dans 6 pays différents sur le devenir des patients diagnostiqués schizophrènes le Nigeria avait un taux de rétablissement doublé par apport à celui des États-Unis ou de l’Angleterre. Même si ça c’était avant la diffusion des idées «modernes» (comprendre occidentales) sur la santé mentale. Selon toute vraisemblance si il s’agissait réellement de faire en sorte que les gens aillent mieux avec des recettes prouvées ailleurs, les nouvelles initiatives en santé mentale qui se place sous le signe du mieux être devraient utiliser le tamoul, le cinghalais ou le yoruba comme paradigme dominant. Or, la langue (et le paradigme) majoritairement utilisé c’est l’anglais.
Le modèle ici c’est le modèle nord américain, états-unien ou canadien qui est géographiquement et idéologiquement proche. Et c’est un modèle qui n’est ni neutre ni pertinent pour les autres pays. D’aucun diront que après tout «on mange bien des hamburgers». Et bien justement le hamburger, la viande de bœuf nécessite beaucoup plus de ressources et de centralisation des terres que la viande de poulet ou les plats végétariens. La gastronomie Burger King ne présuppose donc le même rapport à la paysannerie, à la convivialité et à la justice alimentaire que la gastronomie hindou. Le hamburger n’est pas neutre, la langue n’est pas neutre et les modèles idéologiques du recovery ne sont pas neutres. Ils correspondent à un contexte social donné par une privatisation complète (USA) ou importante (Canada) du système de santé mentale et à une judiciarisation massive de celui ci (USA et Canada both please) et surtout à une volonté de diminuer les allocations distribués aux personnes incapables de s’insérer sur un marché de l’emploi de plus en plus élitiste.
Ce qu’on appelle les thérapies brèves ne sont pas considérés comme efficaces parce qu’elles le sont, elles sont considérés comme efficaces parce qu’elle viennent des États unis LE pays militairement et donc culturellement hégémonique et elles se sont développé là bas à cause de la pression des assureurs privés qui cherchaient des moyens de remettre les gens en forme pour le travail -pour au moins le temps que durait leur contrat annuel d’assurance santé- sans ça que ça coûte trop cher. Les canadiens sont considérés comme «plus avancés que les autres» sur ces questions parce qu’ils sont plus avancée géographiquement et culturellement de la culture étatsunienne qui commence maintenant à sentir un peu le souffre pour le grand public.
Dans les pays de langue anglaise le «recovery» a commencé comme une philosophie développé dans des mouvements de psychiatrisés en lutte. Depuis, il a beaucoup évolué.
Là où le concept initial de recovery aurait pu permettre de remettre en cause les dichotomies inopérantes de type «névrose/psychose», «trouble mentale guérissable/maladie mentale inguérissable», «conscience des troubles/agognosie» etc. il est de plus en plus utilisé pour justifier des pratiques de réductions budgétaires et de culpabilisation des usagers qui n’ont pas les ressources familiales et économiques nécessaires pour se rétablir.
Les outils même d’évaluation de l’efficacité d’une thérapie ne sont pas neutres.
C’est d’ailleurs ce qu’exprime l’initiative britannique «recovery in the bin»2 (le recovery à la poubelle), un groupe d’usagers en santé mentale qui proteste publiquement contre la colonisation du mot «recovery» par une idéologie de discipline, de contrôle et de culpabilisation des usagers. Ce groupe, basé au Royaume-uni réclame notamment la fin de protocoles de rétablissement en x étapes comme -je cite- «les stars du recovery» ou le wrap -un de rétablissement protocole breveté-.
Ils parlent de leur pays mais ils pourraient parler de la France ou le «cartésiennisme intégriste» a réussit à empirer la situation. En effet, le concept initial de recovery supposait que le rétablissement passe par l’inscription de son vécu dans un sens global et généralement ce sens était plus désirant que «c’est-maladie-bio-psycho-social-avec-vulnerabilité-génétique».
Cela nécessitait donc d’accepter que les vécus inexplicables par les forces de la science soient décryptés dans un cadre non scientifique. Mais le cartésianisme français qui confond le non scientifique avec le sectaire (le chef, l’interdiction de penser par soi même et autres mécanismes très spécifiques..) a toujours rejeter l’hypothèse que après tout, peut être que ce n’est vraiment ou pas juste une maladie comme les autres.
Cela fait plusieurs millions d’années que des gens ont des voix, des visions, des formes de simplicité intellectuelle, des agnosies… cela plusieurs millions d’années et autant de langues, de cultures que ces phénomènes s’inscrivent dans des millions de cadres culturels et que ceux qui les vivent sont inscrit dans des pharmacopées3, des initiations, des mises en relations, des intégrations, mais aussi (malheureusement) des exclusions et des tabous sociaux, ou encore des paysages ou des rapports au sommeil, ou à des activités spécifiques et pleins d’autres choses.
Des concepts comme l’inconscient ou la sublimation artistique étaient un peu la forme occidentale de cette inscription culturelle du dehors. Mais motif que certains «gourous» de la psychanalyse aient été sexistes et homophobes les concepts même d’’inconscient, de structurations du sens de ce qu’on vit… sont décriés comme «mauvais».* Bizarrement le globigloba anglophone n’est lui jamais remis en question malgré les différents impérialismes de langue anglaise. Qu’un seul modèle prétende représenter autant le paradigme dominant que son alternative ne semble pas faire tilter tout le monde.
Les vieilles élites médicales américaines et européennes nous ont expliqué tout au long du 20° siècle que l’extérieur de la raison cartésienne n’existaient pas. Le recovery nous explique maintenant que quand bien même ça existerait ça ne sert à rien. Que ce qui est important ce sont les «techniques nord américaines qui marchent».
Mais ça ne marche pas et certaines initiatives innovantes en santé mentale sont maintenant gangrenés par des mécanismes d’abus et de violences en tout genre, y compris entre travailleurs pairs. Mécanismes que l’on tait ou que l’on fait reposé sur des ego et postures individuelles comme si il n’y avait pas de société mais juste des individus4. En fait j’ai travaillé comme pair dans un projet de recovery ou le pair en chef, le symbole suprême du recovery, la star du c’est possible just do it, se comportait comme un tyran envers la quasi totalité des autres pairs salariés. C’était pas juste de simples abus de pouvoir, c’est l’instrumentalisation des uns et des autres en échange de promesses de postes pour soi ou ses proches (dans le cas de ceux déjà en poste) moyennant la participation à des mécanismes de harcèlement inter-individuel à l’aide de diffamations (humiliations publics, pressions, instructions contradictoires, menaces de raconter des mensonges aux nouveaux venus si jamais tu témoignais de la violence avec exécutions des menaces bien sur etc.)
Mécanismes qui à chaque fois étaient mis sur «untel et untel et untel» ne sont pas stabilisés contrairement à la star du recovery. Ce type de fonctionnement est structurellement à l’existence de star du recovery, stars nécessaires aux subventions, stars qui s’approprient le travail des autres et se mettent systématiquement en valeur comme étant le leadership des usagers, stars tyranniques car conscientes de pouvoir l’être. Et il finit par détruire jusqu’aux usagers.
Dans un super marché si un gourou tyrannique incitait les clients à maltraiter un employé après l’avoir diffamé, la quasi totalité des clients refuseraient de participer à ça. Pas dans le recovery. Mais qu’importe parce que «comme il ne faut pas de tromper d’ennemis» ou que c’est la longue liste de personnes maltraitées qui ne sont pas stabilisés - aucune réflexions n’est admise.
L’idée n’est pas de pointer telle ou telle personne mais de se demander comme on peut arriver à des degrés de tyrannie si puissants, qu’est ce qui dans le recovery– qui semblait être un bon concept au départ- peut vriller à ce point là. Comment des stars du recovery peuvent prendre le pouvoir sur les initiatives innovantes en santé mentale non pas juste dans une structure mais même parfois dans une ville donnée et faire la pluie et le beau temps comme une sorte de patriarche mafieux.
Si le recovery dans les pays anglophones à commencé comme une philosophie opérante avant d’être récupérer par la pensée gestionnaire en France il a toujours été intégré à la pensée gestionnaire malgré l’aura révolutionnaire dont il jouissait.
Cela se traduit par une acceptation passive des coupes budgétaires - il n’y a pas d’alternatives aux coupes budgétaires nous disent les principaux acteurs français du recovery, paraphrasant Thatcher5 - et par une segmentation des usagers du plus rentable au moins rétablissable. Ceux ayant un diplôme universitaire sont considérés comme plus prometteurs au rétablissement que les autres, les bipolaires le sont plus que ceux diagnostiqués schizophrènes qui eux même le sont plus que les personnes ayant une trisomie 21 ou un syndrome de williams qui semblent ici définitivement hors course.
Le degré de rentabilité ou de capacité au rétablissement des usagers est calculé en fonction de leur probabilité à intégrer le capitalisme cognitif.
Un agencement social qui accepte passivement que les plus puissants soient dégagés de leurs responsabilités financières (ou autres) envers les plus fragiles et qui classe les usagers selon leur degré de recovery comme si il s’agissait d’un critère moral ne peut que conduire à des politiques de violences institutionnelles.
Il y a une relation structurelle entre la haine de la faiblesse, le mépris des perdants, le culte de l’efficacité & du self made recovery et cette idéologie gestionnaire et individualisante d’inspiration nord américaine placée sous le signe de l’acceptation béate du «there is no alternative» aux réductions budgétaires ou à cette appauvrissement culturel et linguistique généralisé qu’est l’anglo-saxonisation du monde.
D’autres modèles, d’autres concepts sont à inventés ou à découvrir. Il existe plusieurs dizaines de milliers de langues dans le monde dont plusieurs dizaines (breton, berbère, portugais, basque..) sont massivement parlées en France, les possibilités sont donc assez élevés pour penser de nouveaux paradigmes.
1https://books.google.fr/books?id=_0eFAgAAQBAJ&pg=PA163&lpg=PA163&dq=sri+lanka+recovery+schizophrenia&source=bl&ots=ATTFKC6I2Z&sig=bEE_cWVM6Aoh1HIHju_aY4OFrp0&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj27_KK-L7YAhXMshQKHZXFBmUQ6AEIRDAD#v=onepage&q=sri%20lanka%20recovery%20schizophrenia&f=false
3les pharmacopées aryuvédiques par exemple
*Note de Zinzin Zine : La psychanalyse n'a jamais réellement pris en compte le social (ou très insuffisamment), mais à peine la dimension familiale du social, essentialisant par la même occasion tout un tas de structures sociales oppressives nécessaires à la reproduction du patriarcat et du capitalisme. Les psychanalystes devraient d'abord s'en prendre à elleux-mêmes dans leur débâcle au profit des TTC, car lorsque des personnes font l'éffort d'élaborer des critiques pertinentes de leurs concepts (que ce soit Deleuze, des féministes, des antiracistes, des marxistes, des mouvements d'autistes ou n'importe qui d'autres), au lieu de s'en servir pour améliorer leurs outils, les "chefs" et et leurs disciples réagissent comme des dévot·es ou des mafieuseux dont on attaquerait le culte ou le business. Si les psychanalyses tiennent réellement à la portée libératrice de leurs concepts et non pas juste à leur statut social et leurs fausses certitudes, rien ne les empêche de les faire évoluer en prenant en compte ces critiques parfaitement justifiées (voir p.ex. le travail de Tiphaine Besnard, d'Annie Ferrand ou de Louise Gyler)."
4« there is society just individuals » une phrase de Thatcher
5« there is no alternative ». Une phrase de Thatcher très célèbre - il n’y a pas d’alternative (à la politique qu’elle menait).
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Description de l'image : Dessin d'un pull rouge où à la place de la tête sort un poteau avec 3 panneaux d'indication : sur celui tout en haut est écrit "one way" ("sens unique"), sur celui du dessous "same way" ("même direction") et sur celui du bas "same" ("pareil").
Crédit image : Vera Galindo